Chronique

Elliott Sharp Aggregat feat. Barry Altschul

Dialectrical

Elliott Sharp (s, cl), Barry Altschul (dm), Taylor Ho Bynum (tp), Terry L.Greene II (tb), Brad Jones (b)

Label / Distribution : Clean Feed

Délaissant définitivement la guitare au profit du saxophone ou de la clarinette basse dès lors qu’il s’investit dans Aggregat, Elliott Sharp continue avec ce troisième disque à faire évoluer un line-up mobile depuis ses origines. Trio en 2012 au côté de Ches Smith et Brad Jones, il s’adjoint en 2013 les services de Terry L.Greene et Nate Wooley pour devenir quintet. Suite aux désistements concomitants de ce dernier et de Smith pour surcharge d’activités annexes, Taylor Ho Bynum est aujourd’hui à la trompette et, remplaçant de luxe, Barry Altschul, du haut de ses 73 ans, tient les baguettes et apporte toute sa légitimité historique à un projet centré sur l’exploration d’une certaine tradition.

Expérimentateur tous azimuts, prospecteur frénétique, Sharp n’en est pas pour autant à ses débuts en ce qui concerne son rapport au jazz puisque dès 2006, au moins chez Clean Feed, il se réapproprie avec Sharp ? Monk ? Sharp ! Monk ! le matériau du pianiste pour lui attribuer les perspectives percussives et bruitistes qui lui sont propres. La dynamique du quintet y trouve d’ailleurs une forme de prolongement dans la manière frontale, voire brutale, de projeter le son.

Solidement charpenté autour d’une section basse/batterie à la fois rugueuse et mouvante (déstructuration rythmique et assise harmonique, accélération et rupture), les trois soufflants s’unissent pour donner à cet ensemble la silhouette des formations les plus radicales du début des années 60 (on pense bien sûr à Ornette Coleman, à qui un des titres est d’ailleurs dédié). S’articulant parfois autour de solos fragiles de Sharp (dont la sonorité rappelle celle d’Eric Dolphy), trompette et trombone, de leur côté assez peu prolixes, préfèrent jouer collé-serré avec leurs partenaires sans jamais s’écarter ni du thème ni d’une compacité collective qu’ils font vivre par des contre-chants aussi frustes que dissonants qui viennent griffer l’arrière plan.

Les compositions, enregistrées en cercle pour privilégier des arrangements instantanés, sont des hommages, parfois éloignés, à des personnalités disparues en ce début d’année 2016 (Bowie, Boulez et Bley). A partir de ces thèmes naïfs ou primitifs, l’ensemble dégage une sécheresse où le beau et l’harmonie ne sont pas invités. Néanmoins, dans l’évocation de marches martiales aux atmosphères ensauvagées, le surgissement soudain d’un swing salvateur replace l’auditeur sur des terrains familiers et stimulants.