
Éric Barret, la passion discrète
Le saxophoniste est décédé accidentellement à l’âge de 65 ans.
Éric Barret © Frank Bigotte
« Un homme discret, d’une intelligence rare, d’une grande patience avec ses élèves, un grand pédagogue et un musicien sensible, une référence… »
À peine l’annonce de la disparition brutale d’Éric Barret était-elle annoncée que les hommages vibrants au saxophoniste se sont multipliés, émanant la plupart du temps de ses pairs ayant reçu la mauvaise nouvelle comme un terrible choc. Le monde du jazz vient de perdre l’un de ses acteurs les plus attachants et dont le talent faisait l’unanimité.
« C’est la musique anglaise, en pleine explosion dans le milieu des années 70, qui m’amena sans que je m’en rende compte au jazz. Ce furent les groupes anglais Yes, King Crimson, Soft Machine, ensuite la fusion, McLaughlin, Weather Report, Zappa puis le jazz, Miles, Coltrane… Et finalement le saxophone pour moi, le début d’un apprentissage ».
- Éric Barret © Frank Bigotte
Cette explication autobiographique signée Éric Barret vient éclairer la personnalité d’un musicien rare. Rare par le talent de celui dont le parcours musical avait commencé en 1978, lorsqu’il jouait dans les clubs parisiens aux côtés de Chet Baker, Jean-Louis Chautemps, Pepper Adams ou Slide Hampton. Avant de jouer au début des années 80 dans le quintet d’Alby Cullaz et d’intégrer ensuite le quartet de Charles Bellonzi. En 1982, Patrice Caratini avait fait appel à lui pour jouer dans son Onztet. Et c’est en 1983 qu’Éric Barret avait enregistré son premier disque (avec Henri Texier et André Ceccarelli) sous la direction de Jean-Pierre Mas. Suite de cette belle aventure musicale au sein du big band d’Antoine Hervé et dans le Quatuor de Saxophones avec Jean-Louis Chautemps, François Jeanneau et Philippe Maté.
Mais rare aussi en raison du caractère parcimonieux de ses productions discographiques depuis cette époque. On se souviendra par exemple de sa participation au premier ONJ sous la direction de François Jeanneau ; un orchestre qu’il retrouvera une dizaine d’années plus tard, le temps d’un ONJ Express emmené par Didier Levallet cette fois. Entretemps, il avait imprimé sa marque dans un trio avec ses deux compagnons de route Henri Texier et Aldo Romano, qui publiera un unique album en 1988. Il faut se souvenir aussi de plusieurs disques importants : celui d’un quartet en 1991 (avec Marc Ducret, Hélène Labarrière et Peter Gritz), qui récidivera l’année suivante avec L’Échappée belle. Un peu plus tard, ce fut New Shapes en 1999, avec trois autres partenaires de haut vol (Sophia Domancich, Riccardo Del Fra et Simon Goubert).
Deux ans plus tard, Éric Barret ferraillait en duo avec le batteur pour un magnifique Linkage, héritier sans nul doute de l’album Interstellar Space, enregistré en 1967 par John Coltrane et Rashied Ali. On n’oubliera pas My Favorite Songs en 2004, une nouvelle aventure en septet dans laquelle on pouvait croiser quelques musicien·nes de (futur) premier plan comme Airelle Besson (trompette) ou Benjamin Moussay (claviers), le temps de passer en revue une sélection de chansons de cœur (Brel, Ferré, mais aussi Leonard Cohen, King Crimson ou Robert Wyatt).
Retenons également Close Meeting en 2008, en trio avec Joël Allouche et Serge Lazarevitch ou Quiet Place en 2013, cette fois pour un duo aux accents celtiques avec le guitariste Jacques Pellen (lui-même disparu depuis).
une sensibilité à fleur de peau qui n’a pas fini de faire vibrer la corde sensible d’un jazz habité et profondément humain
Une formule qui nous rappelle aussi qu’Éric Barret était un partenaire de choix au sein d’un autre duo, celui qu’il formait avec le pianiste Alain Jean-Marie. Autant dire que la parution de Work In Progress (en trio avec Emil Spanyi au piano et Gautier Garrigue à la batterie) au début de l’année dernière avait été ressentie comme une forme de retour gagnant, dont nous avions souligné l’intensité ici-même en lui décernant un ÉLU. Un disque enregistré live au Jazz Club de Dunkerque que la disparition brutale d’Éric Barret fait ressentir à la manière d’un testament.
Par-delà ces qualités transmises dans une brûlure d’essence coltranienne, Éric Barret occupait un place discrète sur la scène jazz, lui qui avait pourtant côtoyé quelques très grands noms comme Roy Haynes, Freddie Hubbard, Steve Swallow, Daniel Humair, Steve Grossman ou Pierre Michelot… Une discrétion qui n’était pas synonyme d’absence, car le saxophoniste était aussi reconnu pour ses qualités de pédagogue et une véritable soif de transmission qu’il avait pu assouvir notamment en tant qu’enseignant au Conservatoire à rayonnement régional de Paris et au Conservatoire du XIe arrondissement. Ou bien encore à l’occasion de nombreuses conférences (Coltrane, Rollins, Shorter…) lors des concerts thématiques de Jacques Vidal au Sunside. Mais l’homme aspirait à une vie simple et tranquille, sans jamais être guidé par l’idée d’une carrière à mener.
Les « grands » médias passeront sans doute sa disparition sous silence. On peut le regretter, mais l’essentiel est ailleurs après tout. On le trouvera dans une sensibilité à fleur de peau qui n’a pas fini de faire vibrer la corde sensible d’un jazz habité et profondément humain. Éric Barret a enregistré assez peu de disques, certes, mais les témoignages qu’il nous a laissés sont suffisamment nombreux et passionnés pour que vive encore longtemps sa musique.