Scènes

Greg Lamy et Flavio Boltro sont dans un bateau…

Concert du guitariste Greg Lamy et du trompettiste Flavio Boltro dans le cadre intime et aquatique du Niagara Jazz Club de Nancy.


Greg Lamy - Flavio Boltro Quartet © ID-B

Le cœur a ses raisons que la raison ignore. C’est sans doute guidé par cette maxime que Francis Nicolas, passionné de musique, fut gagné un beau jour par l’idée un peu folle de faire de sa péniche, amarrée au port de Nancy, une salle de concert. Ou plutôt un club avec sa jauge limitée (70 places assises) et son bar attenant. Le lieu est chaleureux, tout comme l’hôte, et on y cultive le désir d’une proximité entre public et musicien·ne·s. Son nom : Niagara Jazz Club. Rendez-vous est donc donné avec le blues et le jazz sur un rythme mensuel.

Autant dire qu’il y avait de quoi se réjouir en ce vendredi 19 avril à l’idée d’écouter la musique du quartet formé par le guitariste luxembourgeois Greg Lamy et le trompettiste italien Flavio Boltro. De belles promesses qui ont été tenues par une formation des plus réjouissantes.

Le disque Letting Go (Igloo Records, 2023) annonçait la couleur en marquant sa différence avec les précédents albums du quartet de Greg Lamy tels que Meeting (2013), Press Enter (2017) ou Observe The Silence (2021). Si la charnière rythmique, inchangée depuis 17 ans, est toujours composée de Gautier Laurent à la contrebasse et de Jean-Marc Robin à la batterie, le rôle dévolu à Flavio Boltro dans cette nouvelle mouture est bien plus que celui d’un invité dans la mesure où le trompettiste turinois est venu avec plusieurs compositions qui trouvent place dans le répertoire du quartet. Ce qui n’est pas rien si on considère la carte de visite particulièrement fournie d’un musicien qui a pu par le passé côtoyer Steve Grossman, Laurent Cugny (notamment du temps de l’ONJ), Michel Petrucciani, Stefano Di Battista, Giovanni Mirabassi ou Michel Portal. Excusez du peu… Récemment, on aura pu aussi tomber sous le charme intimiste de son duo avec un autre de ses compatriotes, le pianiste Fabio Giachino (Things To Say, CamJazz 2022) et prendre la mesure de son talent hors norme. Boltro est un musicien étonnant, d’une désarmante simplicité, qui pourra venir tranquillement échanger quelques mots avec vous et vous faire comprendre que le talent en question peut faire bon ménage avec une véritable humilité.

Flavio Boltro © Jacky Joannès

C’est dire la chance qu’avait le public rassemblé dans la péniche du Niagara Jazz Club. Et d’emblée, on a pu mesurer à quel point cette formation parvenait à un état d’équilibre assez irrésistible. Ces quatre-là ne sont pas réunis par un simple concours de circonstances. Il circule entre eux un courant à la fois indéfinissable et parfaitement perceptible sur scène. Insistons pour commencer sur le duo formé par Gautier Laurent et Jean-Marc Robin, que les nancéie·ne·s connaissent bien parce qu’ils sont en quelque sorte les « régionaux de l’étape » : cette paire est non seulement aguerrie et très complice, mais elle sait dépasser la simple fonction rythmique. Le contrebassiste ne perd jamais une occasion de rappeler que son instrument, pour gardien du tempo qu’il puisse être, est aussi une source mélodique à laquelle il s’abreuve avec un plaisir gourmand. Le batteur, d’une présence de tous les instants, développe de son côté un jeu foisonnant mais pas envahissant pour autant, qui met en évidence l’idée des « couleurs de peaux » (en référence au titre d’un album de son condisciple Simon Goubert) sortant elles aussi du cadre rythmique. Autant dire qu’avec l’appui d’une telle force, Greg Lamy et Flavio Boltro ont pu faire valoir en toute sérénité leur propre créativité.

Greg Lamy © Jacky Joannès

Et des couleurs, ces deux musiciens n’en manquent pas, eux qui n’auront de cesse de les déployer tout au long de deux sets passant à la vitesse de l’éclair (le second a paru si court !). La musique jouée, avec ses nuances souvent impressionnistes (voire romantiques) et ses mélodies aux accents volontiers pop – le soin apporté à l’écriture des différents thèmes est à souligner – fait la part belle à une partition à quatre voix placées sur un même pied. Greg Lamy, s’affranchissant des codes du « guitar hero » est un sculpteur d’espace sonore, se jouant avec une grande finesse des possibilités d’un instrument qu’il caresse, recourant à la réverbération à la façon d’un peintre maniant son pinceau. Et s’il s’autorise un chorus de temps à autre, il reste concis, très aérien, presque délicat et toujours à l’écoute, soucieux de l’équilibre à préserver au sein du groupe. On pense en l’écoutant à quelques guitaristes illustres (John Abercrombie, Pat Metheny, Kurt Rosenwinkel), ce qui est on l’aura compris, un compliment. Flavio Boltro quant à lui ne boude pas son plaisir (les regards qu’il aura échangés tout au long du concert avec Jean-Marc Robin constituent un véritable spectacle) et va administrer une magnifique leçon de musique habitée. « Il est rital et il le reste », lui qui libère un chant d’une chaleur très communicative. Une forte présence, jamais écrasante et un jeu d’une extrême précision porté par un son droit et feutré. Le trompettiste est comme un poisson dans l’eau (toute proche il est vrai) et suscite une adhésion totale de la part du public qui (re)découvre une voix essentielle du jazz contemporain.

Au bout du compte, on se dit que ce très beau concert aura été aussi l’occasion de pointer du doigt la personnalité d’un guitariste qui n’est peut-être pas aussi connu qu’il mériterait de l’être. Greg Lamy, la cinquantaine venue, semble en pleine possession de ses moyens. Il faudra nous en souvenir et en savoir un peu plus sur lui dans les mois à venir. Rendez-vous est pris !