Chronique

Éric Barret Trio

Work in Progress

Éric Barret (ts), Emil Spanyi (p), Gautier Garrigue (dms).

Label / Distribution : Jazz Family

Éric Barret est un musicien rare : par le talent, mais aussi en raison du caractère parcimonieux de ses productions discographiques. On se souviendra par exemple de sa participation au premier ONJ sous la direction de François Jeanneau, un orchestre qu’il retrouvera quelques années plus tard le temps d’un ONJ Express emmené par Didier Levallet cette fois. Entretemps, il avait imprimé sa marque dans un trio avec ses deux comparses Henri Texier et Aldo Romano. Il faut se souvenir aussi de plusieurs disques importants : un premier quartet en 1991 (avec Marc Ducret, Hélène Labarrière et Peter Gritz) ; New Shapes en 1999, avec trois autres partenaires de haut vol (Sophia Domancich, Riccardo Del Fra et Simon Goubert). L’année suivante, le batteur ferraillait en duo avec le saxophoniste pour un Linkage héritier de quelques joutes de ce type dont la plus célèbre est sans doute Interstellar Space, enregistré en 1967 par John Coltrane et Rashied Ali. On n’oubliera pas My Favorite Songs en 2004, nouvelle aventure en septet dans laquelle on croisait quelques musicien·ne·s de (futur) premier plan comme Airelle Besson (trompette) ou Benjamin Moussay (claviers), le temps d’un passage en revue de quelques chansons de cœur. Ni Quiet Place en 2013, en duo avec le guitariste Jacques Pellen. Une formule qui nous rappelle aussi qu’Éric Barret est un partenaire de choix au sein d’un autre duo, celui qu’il forme avec le pianiste Alain Jean-Marie.

Musicien rare donc, excellent pédagogue et homme discret, tel est celui qu’on retrouve en trio pour un disque publié chez Jazz Family dont le titre, Work In Progress, est aussi celui d’une formation atypique, déjà repérée ici en 2011 : saxophone, piano, batterie. Pas de contrebasse donc, et un rôle particulièrement crucial dévolu au piano, celui d’Emil Spanyi dont la main gauche ne risque pas l’ennui (écoutez son formidable travail sur la composition titre), même si celle-ci est parfaitement soutenue par le jeu foisonnant de Gautier Garrigue (batteur régulier d’Henri Texier) et par le saxophone lui-même qui ne se prive pas d’exercer une fonction rythmique quand il le faut. Enregistré live au Jazz Club de Dunkerque en juin 2022, ce disque est une leçon : celle d’un jazz de la conversation et de l’imagination, où l’improvisation – Éric Barret, faut-il le souligner, est l’un des improvisateurs les plus passionnants qui soient – occupe une place centrale et s’articule autour d’une multiplicité de formules. En trio, mais aussi en solo et surtout en duo : saxophone / piano, saxophone / batterie, piano / batterie. Toutes les combinaisons sont éprouvées durant ce concert. L’intensité qui règne pendant plus d’une heure ne faiblit pas un seul instant.

Si Éric Barret n’abuse pas des enregistrements, au moins les nourrit-il d’une musique libre et vibratoire. Les musiciens prennent le temps nécessaire à la mise en place d’un langage d’une grande expressivité. Là est bien le jazz dans toute la force de son histoire, avec ses références (la plus notable étant celle de John Coltrane), mais aussi celle de son présent, par la vie dont elle regorge. Voilà une vibration essentielle que transmet parfaitement ce disque à consommer sans modération.