Chronique

Eric Le Lann

I Remember Chet

Eric Le Lann (tp), Nelson Veras (g), Gildas Boclé (b)

Label / Distribution : Bee Jazz

Parmi les grands musiciens qui ont fait le jazz, Chet Baker est sans doute un de ceux auxquels on s’attache le plus aisément. Sans que ce lien puisse se défaire avec le temps. Car sa musique, faite d’émotion, nous touche souvent au plus intime. Sans doute parce qu’il a su toujours aller jusqu’au bout de la sensibilité la plus extrême, celle d’une vie cabossée et d’un pouvoir presque magique de dire la souffrance ou le bonheur. Sur ce chemin-là, il a conduit son vagabondage aussi loin que possible. Au bout de lui-même. Jusqu’à la fin.

Le trompettiste Eric Le Lann, lui aussi, sait cela depuis longtemps. Il connaît, des aventures et des mésaventures de la vie ou de la musique, tous les tours et les détours. Aussi, avec I Remember Chet, réussit-il non seulement à évoquer celui dont on va bientôt célébrer le vingt-cinquième anniversaire de la disparition mais aussi et surtout à le rendre présent : il sait ce qu’est, profondément, la musique de son aîné et au-delà de cela, il connaît les tourments de l’âme, sans compter ceux du corps et du cœur.

Si bien qu’ici, dans chaque thème, de « For Minors Only » (Jimmy Heath) à la conclusion (« Backtime »), en passant par quelques merveilles - « I’m A Fool To Want You » (Joel Herron, Frank Sinatra et Jack Wolf) ou le tout aussi splendide « Touch Of Your Lips » de Ray Noble, à chaque instant, c’est l’esprit, le fantôme, l’ombre vivante de Chet qui nous frôle. Précisons-le, histoire d’éviter tout malentendu : ni « revival », ni recréation de la musique de Chet Baker sur cet I Remember. C’est pour cela qu’on peut y reconnaître, voire y ressentir sa présence, et que le disque est plus qu’une évocation, et bien plus qu’un hommage.

C’est avec une intelligence parfaite que les deux accompagnateurs d’Eric Le Lann, le guitariste Nelson Veras et le contrebassiste Gildas Boclé, apportent leur contribution - essentielle - à cette réussite. Avec un soin méticuleux, l’un et l’autre s’approprient la musique de Chet, non pas pour la répéter, mais pour en dire la quintessence - ce qui la fonde encore et toujours. Ils sont d’autant plus présents qu’ils occupent une place mesurée. C’est le signe de la parfaite maîtrise, et de leur respect non seulement pour Chet et pour Le Lann, mais pour la musique elle-même.