Chronique

Eténèsh Wassié - Mathieu Sourisseau

Belo Belo

Eténèsh Wassié (voc), Mathieu Sourisseau (b acous) ; invités : Nicolas Lafourest (g), Alex Piques (dm), Gaspar Claus (cello), Sébastien Cirotteau (tp)

Label / Distribution : Buda Musique

Vous pensiez avoir fait le tour de ce que pouvaient donner les noces du jazz européen et de la musique éthiopienne ? Erreur.

Depuis 2007, le Tigre des Platanes et la chanteuse azmari Eténèsh Wassié font route commune, semant sur leur chemin - comme autant de petits cailloux - un CD : Zèraf ! (2008), un double DVD, Yézémèd Yébaèd et de multiples concerts fiévreux.

Au fil de ces années, Eténèsh Wassié et Mathieu Sourisseau, le bassiste du Tigre, se sont tricoté assez d’affinités musicales pour oser un duo. Un classique : voix et basse font souvent bon ménage. Sauf qu’il s’agit ici d’une voix très particulière et d’une basse un peu spéciale.

La basse acoustique - cette grosse guitare tendue de quatre cordes épaisses - a ce grain sonore qui fait si souvent défaut aux basses électriques. Entre les mains de Mathieu Sourisseau, elle se fait à la fois soubassement harmonique et fabrique à transe (« Gonder c’est bon », « Ayluga »), propulse des sons mats et poudreux comme la latérite (« Ende Matew Style ») ou profonds comme des tombeaux (« Ambassel »).

La voix d’Eténèsh Wassié, elle, puise profondément aux sources éthiopiennes. Tous les morceaux sauf un, « Kassa Tezeta », sont des traditionnels. Parmi les textes, une prière chrétienne orthodoxe (« Zèlèssègna »), un poème à la gloire de l’Éthiopie, des appels à la guerre, des chants d’amour - le répertoire classique des azmari. Âpre et astringente, rappelant par certains côtés les chanteuses « réalistes », elle surprend par de brusques montées dans les aigus, par la souplesse paradoxale de ses mélismes et de ses effets, mais surtout par sa capacité à prendre place dans un monde rock (« Gonder c’est bon ») et à fomenter, saturée comme il se doit, des montées de tension que ne renierait pas un Robert Plant (la seconde partie de « Belo Belo Belo » ou de « Ayluga »).

Sur cette chaîne et cette trame rugueuses, irrégulières comme une immigration, les invités brodent leurs motifs identitaires ; noise-rock les éructations de Nicolas Lafourest - voix et guitare - , foisonnante la batterie d’Alex Piques et, à signaler particulièrement, le saisissant violoncelle distordu de Gaspar Claus sur « Gonder c’est bon », avec ses ostinatos enchevêtrés à la ligne de basse et son chorus halluciné.

Loin de ressasser les expériences de fusion éthio-jazz qui se multiplient ces dernières années, Sourisseau et Wassié se lancent dans une aventure distincte. Pleine d’aspérités, pas cosmétiquée pour deux sous : brute de décoffrage, vraie et sans chiqué. Comme eux.