Chronique

Ochs/Williams/Desprez/Sourisseau/Silvant

Stroboscope

Larry Ochs (ss, ts), Mars Williams (ts, objets), Julien Desprez (g), Matthieu Sourisseau (b), Samuel Silvant (dms)

Label / Distribution : The Bridge Sessions

Il y a eu, dans chacune des aventures initiées par Alexandre Pierrepont et ses amis de The Bridge, des moments de grâce et d’échange, de véritable rencontre, à l’image par exemple de The Turbine ; mais jamais peut-être n’avaient-ils atteint l’émulsion de Stroboscope, pavé free lancé à la fois aléatoirement et avec une précision diabolique. Est-ce la présence de Julien Desprez, écorcheur placé en éclaireur aux franges du cri des saxophones ? Est-ce cette double présence du prestigieux Larry Ochs et de Mars Williams qui occupent chacun un canal dans un style très contrasté ? Chez ces vétérans des musiques indociles, l’un poursuivant le travail d’articulation des timbres du Rova Quartet, l’autre chargé de la combustion d’une base rythmique qui n’attendait que cela pour s’enflammer, comme ces soudaines poussées de fièvre groove de Samuel Silvant ? Pensons que c’est encore une fois le fortuit qui fait des miracles. Ces musiciens n’auraient pas dû se rencontrer, et de Chicago à Brest, chacune des occasions a été providentielle.

Avec la présence de Julien Desprez et Samuel Silvant, la rencontre pourrait vite prendre des allures de refondation du label Rude Awakening. Dans « Stroboscope #2 », alors que la guitare basse de Mathieu Sourisseau se faufile entre les frappes drues du batteur, il règne une tension exaltante, à fleur de peau, qui peut se briser à chaque instant. Le choix de Sourisseau d’interrompre son idylle avec la corne de l’Afrique pour rejoindre ce chaos pourrait sembler surprenant, mais son jeu conserve l’agilité et la soudaineté que l’on avait pu apprécier avec Eténesh Wassié ou surtout le Tigre des Platanes. Lorsque les saxophones rentrent en piste, le noyau guitare/basse/batterie se cabre, se défait de certaines attitudes rock et se transforme durablement. Bien sûr, si le protagoniste est Williams, puissant et acide, l’amalgame est immédiat ; mais même si Larry Ochs sait parfaitement propager l’incendie, il offre également quelques clairières intranquilles, à l’image de cette seconde partie de « Stroboscope #2 » où il adoucit même les cliquetis électriques de la guitare. La trêve est de courte durée, et il suffit que Williams s’immisce dans le discours, avec la basse comme garde prétorienne, pour qu’immédiatement le chahut reprenne ses droits. Après tout, c’est une atmosphère que le saxophoniste, adepte des objets et des jouets en tous genres, connaît bien dans le Chicago Tentet de Peter Brötzmann, dont l’ombre plane un peu partout ici.

Le stroboscope fonctionne par flashes aveuglants. Il sert à fixer un mouvement, mais aussi à permettre la transe. Avec cette musique frontale, qui tape directement au cerveau comme un uppercut, le quartet de la neuvième session de The Bridge cherche le même effet. Ce qui impressionne, c’est la facilité avec laquelle on pénètre dans cet univers pourtant touffu et prétendument hostile. L’auditeur est happé, mais il conserve une dose de jubilation ; il y a davantage de nervosité que de violence dans un échange qui fonctionne par sa capacité à jouer collectif, à ne pas favoriser les harangues solistes. Stroboscope est un magnifique système d’engrenages qui nous emmène très loin dans un mouvement implacable. Ne boudons pas notre plaisir !

par Franpi Barriaux // Publié le 10 février 2019
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