Portrait

Faire du bruit

Tonnerre de jazz gronde autour de Pau


Dans la région de Pau, une association répand la mauvaise parole du jazz vif : c’est « Tonnerre de Jazz ». Ils s’expliquent pour Citizen Jazz : Jean-Claude Tessier - président, Lydia Sanchez - photographe et Bernard Joyeux.

- « Tonnerre de jazz », ce sigle semble vouloir dire à la fois que vous vouliez marquer un grand coup, tout en restant fidèle au mot « jazz », parfois synonyme de musique du passé. Qu’en est-il donc ? Et quand avez-vous commencé cet épisode orageux dans la région de Pau ?

Jean-Claude Tessier : Dans le labyrinthe des mots mettant en valeur nos idéaux, nous avions à coeur de trouver une indication propre à notre envie de « faire du bruit ». Mon postulat était le suivant : rien d’excitant ne se faisait sur le plan du jazz à Pau mais deux expériences de jazz proposées sur nos conseils au service Culture de la ville de Billère (qui nous soutient depuis la première heure) avaient ravi le public. Mes deux fils étant eux-mêmes musiciens de jazz, je me devais donc de m’investir à nouveau dans cette musique, qui m’a nourri depuis toujours.

Lydia Sanchez : Tonnerre de Jazz : le nom a été trouvé au départ pour le petit festival de 3 jours que nous avons organisé à Billère. Les membres fondateurs étaient Jean-Claude Tessier, Dominique Piollet, Lydia Sanchez. Nous étions aussi partie prenante d’une association nommée l’Oiseau Tonnerre. J-C et moi avons pensé au même nom : Jazz du tonnerre ou Tonnerre de Jazz. Le dernier a emporté l’unanimité.

- Comment avez-vous fait pour que cela fonctionne ?

JCT : Pour que cela fonctionne : d’abord mettre en place un réseau de communication adapté et solliciter des partenaires. Pour attirer des « publics » : défendre l’idée d’un jazz de création ouvert à tous les courants musicaux, tout en proposant une musique accessible à toutes les oreilles !

LS : Nous avions dans l’idée de programmer du jazz tout au long de l’année, mais nous avons eu l’opportunité de faire d’abord ce festival. Parce que JC connaissait des musiciens : par ses fils et par les contacts qu’il avait noués depuis 1980 à la création de Jazz à Oloron (dont il a été un des fondateurs). Nous avions envie de faire un tremplin jazz pour produire de jeunes musiciens peu connus : c’est toujours l’ouverture de notre festival, le jeudi soir. Le public au début c’était le carnet d’adresses de l’association, maintenant il est plus varié. Nous sommes heureux quand on nous dit : « On ne connaît pas mais on vient parce que c’est TdJ  ». C’était un gros travail, mais exaltant.

- Avez-vous senti des résistances ? Se sont-elles manifestées ?

JCT : Pas de résistances frontales. Nos trois piliers : qualité artistique, diversité et convivialité, font que nous avons créé un lien assez fort avec notre public. Il nous suit et nous fait confiance, au risque d’être surpris ou étonné. Au final, c’est toujours cette étiquette « jazz » qui nous colle parfois trop à la peau qui pose problème. Peu importe l’étiquette pourvu que ce soit de la bonne musique !

LS : Pas vraiment de résistances, plutôt de l’enthousiasme. L’offre culturelle se diversifie ces dernières années sur Pau, et il est compliqué de savoir quelle sortie choisir, je suppose. On a essayé de programmer en septembre et juin, mais dans la région il fait beau, il y a trop peu de monde qui reste pour un concert de jazz au lieu d’aller à la plage ou à la montagne.

- Inversement, avez-vous senti des appuis, et comment se sont-ils manifestés ?

JCT : L’ensemble des structures culturelles de l’agglomération reconnaissent notre travail et chaque année de nouveaux partenariats s’établissent ; notamment celui avec l’orchestre symphonique de Pau (OPPB).
L’appui majeur qui nous manque pour l’instant est celui des collectivités territoriales. Mais nous travaillons à ce que la situation se débloque.

LS : La première année on a noué des partenariats avec les salles de l’agglomération.
Petit à petit nous avons eu d’autres idées, comme le partenariat avec le Méliès (ciné art et essai) avec lequel nous proposons un documentaire ou un film dans l’après-midi, en lien avec le groupe ou un musicien qui se produit le soir.

- Avez-vous une idée de la moyenne d’âge de vos spectateurs ? Sont-ils à même de vous suivre dans les divers lieux, ou vous faut-il à chaque fois aller les chercher ?

JCT : Moyenne d’âge trop élevée bien entendu comme partout ! Un public qui bouge sur toute l’agglomération au gré des concerts ; et chaque mois le plaisir d’accueillir parfois un public riverain, qui vient pour la structure locale avec laquelle on s’associe. Mais rien n’est jamais gagné, nous le savons, et notre talon d’Achille réside dans le fait que nous n’avons pas de trésorerie et qu’un faux pas peut nous être fatal !

- Comment prenez-vous les décisions concernant la programmation ?

LS : La programmation est faite de plusieurs manières. JC connaît des musiciens, il va souvent à Paris et peut avoir des propositions, il est un très bon commercial. J’ai les oreilles qui traînent et je suis curieuse. Je peux ramener des cartes de Marciac où je prends des contacts. J’écoute ce que me disent les autres. Mais c’est JC qui fait la majorité de la programmation.

Bernard Joyeux : La programmation vient surtout des propositions de J.C (qui reçoit les projets, disques, assure les relations avec les agents, est aussi informé par son fils Ariel Tessier). Ponctuellement d’autres membres proposent en fonction des spectacles vus.

- Avez-vous le sentiment que vous pourrez vous tenir à une ligne esthétique serrée, ou sentez-vous, qu’à un moment ou un autre, il faudra faire des concessions ?

JCT : Notre défendons un jazz contemporain de création ; mais nous ouvrons au maximum les influences pour que chacun s’y retrouve. La programmation se construit aussi en profitant du passage de musiciens de grande notoriété en tournée.
Mais nous sommes réalistes : par exemple, j’adore Suzanne Abbuehl ou Maria João, mais je ne les programme pas (trop intimiste) ; par contre j’ai défendu bec et ongles le duo de Carlos et Ana Carla Maza, et je défendrai l’an prochain le saxophoniste norvégien Marius Neset ! Par contre, faire des concessions n’est pas dans ma manière de fonctionner ; c’est d’abord la qualité qui guide mes choix. Notre force est justement de pouvoir gérer ces choix en toute indépendance.

BJ : Les concerts ouvrent sur une esthétique assez large, en privilégiant le creuset de nouveaux talents, en devenir et à projets, plus que la facilité des « noms bien installés ».
Si cela, d’un côté, ouvre des perspectives réjouissantes, de l’autre (beaucoup de musiciens provenant des mêmes écoles et formations académiques) cela risque de faire ressortir en priorité la formation uniformisée, la technicité, la virtuosité, au détriment de la personnalité (sauf exceptions), de la connaissance de la tradition et de l’histoire. En définitive cela peut créer une musique très européenne souvent loin des racines, de la transpiration et de la sueur. On peut aimer les 2 univers, mais il me semble qu’un cap est en train d’être franchi, en partie du fait de l’enseignement institutionnalisé.