Francesco Bearzatti au Cri du Port
This Machine Kills Fascists, Tinissima 4tet à Marseille.
Photo : Christophe Charpenel
Francesco Bearzatti Tinissima 4tet
Le Cri du Port, Marseille, 12 mai 2016
Ce soir-là, le batteur Zeno De Rossi étrenne la batterie Canopus flambant neuve du Cri du Port, à Marseille, et il en est enchanté, prévient d’emblée la nouvelle directrice du lieu, Armel Bour.
Ces batteries sont désormais parmi les favorites des musiciens de jazz, par l’équilibre plus que parfait du timbre des peaux et cymbales.
Il faut avouer que, dans l’esthétique avancée par Francesco Bearzatti, le son de la batterie se doit d’être le plus naturel possible, pour convaincre de la véracité de son message : « This Machine Kills Fascists ».
De fait, dès le premier morceau de ce concert, « Dust Bowl », le rythme avance telle une de ces tempêtes de sable et de poussière qui asséchèrent les plaines agricoles étasuniennes dans les années trente, rajoutant la catastrophe climatique à la crise économique (propos ô combien actuel).
On est immédiatement plongé dans un univers à la Steinbeck façon Les Raisins de la Colère, et surgissent immanquablement les images du film de John Ford, voire plus encore les clichés de Walker Evans pour la National Farm Administration, lorsque ce photographe fut mandaté par le gouvernement américain pour témoigner de la misère des paysans.
Le côté « tex-mex » de la ritournelle des cuivres vient nous rappeler que les Etats-Unis sont aussi terre hispanique, les peones étant les oubliés de cette crise. Lorsque le trompettiste, Giovanni Falzone, est pris de mouvements « browniens », au sens physique et jazzistique (on sent le travail d’écoute assidu du grand Clifford Brown), c’est toute l’errance de ces populations détruites qui s’exprime. Tel est le terreau du fascisme que le troubadour socialiste Woody Guthrie voulait pourfendre, armé de sa seule guitare : la lutte de toutes et tous contre tous et toutes. A contrario, c’est dans une lutte pour la dignité que s’inscrit le projet mené par Bearzatti, plus impétueux que jamais dans son saxophone ténor, entre lyrisme et sens du blues.
Quels déchirements il atteint sur « Hobo Rag », tout en rage punk débordante, grâce au soutien de Danilo Gallo à la basse électrique ! Après tout, les premiers punks étaient ces « compagnons » de hobos, ces vagabonds du rail, parfois vauriens, parfois anarchistes, parfois les deux. Juste avant, « Long Train Running » aura rappelé au public clairsemé de la salle marseillaise que le jeu de batterie jazz est aussi une transposition des sons de la réalité, et notamment du chemin de fer. De fait, c’est à un voyage dans l’histoire du jazz que nous invite cette formation, passant aussi par le funk, le free, pour en revenir à l’esprit et la lettre de la Nouvelle-Orléans, dans une improvisation collective lors de laquelle le leader du gang se saisit de la clarinette pour un duel avec le trompettiste sur « This Land Is Your Land », seule version d’une composition de Woody Guthrie proposée dans cette suite. Bien évidemment, le Tinissima 4tet ne pouvait terminer ce concert sans un hommage à leur inspiratrice, la photographe poète italo-mexicaine… et communiste Tina Modotti, en forme de rappel de l’urgence d’un jazz émancipateur !