
Pour être ou avoir été le partenaire de nombreuses personnalités majeures de la scène jazz européenne (Éric Legnini, Biréli Lagrène, Pierrick Pédron, Stefano Di Battista, Pierre de Bethmann…), Franck Agulhon, par ailleurs pédagogue reconnu, n’en suit pas moins un chemin personnel où figure en bonne place – une place centrale même – son instrument fétiche, la batterie.
Après deux expériences en solo d’ores et déjà lointaines (Solisticks en 2008 et Solisticks 2 en 2010), auxquelles on ajoutera volontiers le duo Rythmology formé avec son condisciple et ami Charlie Davot le temps d’un réjouissant Clickless en 2023, le voici à nouveau seul maître à bord pour un disque dont le titre ne surprendra pas : Solisticks 3.
Si on veut bien considérer que l’histoire du jazz depuis plus d’un siècle est un grand et passionnant roman, on dira volontiers que les histoires racontées par les « baguettes solitaires » de Franck Agulhon s’apparentent à un recueil de nouvelles qu’on découvre avec gourmandise et dont on tourne les pages dans une forme de jubilation particulière, celle du plaisir des retrouvailles avec un ami de longue date. Car voilà en effet une succession de petites aventures musicales – il y en a 18 au total, toutes très brèves – qui s’enchaînent avec finesse dans une succession de rebondissements (au sens propre comme figuré) et révèlent l’appétit de ce Marseillais implanté depuis de longues années en Lorraine. Un musicien qui nous disait il y a une vingtaine d’années dans un entretien express, façon questionnaire de Proust, que le don de la nature qu’il aurait aimé avoir serait de ne rien oublier de chacun des jours qu’il a vécus.
Dans ces conditions, le disque est là pour graver les souvenirs, et sans doute Franck Agulhon a-t-il voulu aussi les fixer pour cette excellente raison. « Graver, c’est grave ! », assénait il y a fort longtemps un autre batteur, descendu de la planète Kobaïa… Message bien entendu par Franck Agulhon car, loin d’être un exercice de style, ce nouveau rendez-vous avec ses Solisticks est un réel plaisir par lequel il projette des images personnelles, relate des impressions à la manière d’un conteur, fait valoir la multiplicité des timbres d’un instrument avec lequel il engage une conversation amoureuse. La batterie devient chez lui un instrument total (ou presque) capable d’imprimer le tempo autant que de chanter. À l’écoute de ces miniatures multicolores, on devine le sourire – que connaissent très bien tous ceux qui l’ont côtoyé – d’un musicien qui n’a jamais renoncé à être lui-même au fil des années. Un homme de passion.