Chronique

Fred Nardin / Jon Boutellier 4tet

Watt’s

Jon Boutellier (sax), Fred Nardin (p, Rhodes), Patrick Maradan (b), Romain Sarron (dms), David Enhco (tp, bugle), Bastien Ballaz (tb), Cécile McLorin Salvant (voc).

Label / Distribution : Gaya Music / Socadisc

Comment exprimer un appétit dévorant pour le jazz, qui concilierait le désir de raconter l’histoire de cette musique dans le respect de ses aînés et la volonté, on ne peut plus légitime, de faire entendre sa propre voix ? Cet exercice-là, Fred Nardin (piano) et Jon Boutellier (saxophone ténor) le pratiquent avec d’autant plus d’aisance que tout semble leur réussir en ce moment, en particulier du fait de l’émergence, depuis cinq ans, de The Amazing Keystone Big Band. Cette formation de 18 musiciens ravit en effet petits et grands par le truchement de ses relectures joyeuses et pédagogiques d’œuvres du répertoire classique (Pierre et le Loup et le Jazz en 2013, puis Le Carnaval Jazz des Animaux en 2015). Fred Nardin est par ailleurs un musicien très actif qu’on retrouvera, quand il n’anime pas une jam, aussi bien en trio avec Leon Parker et Darryl Hall, Sophie Alour, Gaël Horellou que dans le Switch Trio (dont le récent At Home est une autre gourmandise pour piano, guitare et contrebasse) ; c’est aussi son piano qu’on peut entendre dans les formations de chanteuses telles que Cécile McLorin Salvant et Véronique Hermann Sambin.

Pour former leur quartet, Nardin et Boutellier, dont la complicité s’est formée du temps des années au CNSM, ne sont pas allés chercher bien loin et ont fait appel à la rythmique du Keystone Big Band : Patrick Maradan (contrebasse) et Romain Sarron (batterie). Une assurance du point de vue de la qualité autant que de l’amitié. Et pour faire bonne mesure, quelques invités naturels viennent relever les saveurs de ce Watt’s en tout point réussi. On retrouve en effet les deux autres têtes pensantes du Keystone (Bastien Ballaz au trombone et David Enhco à la trompette et au bugle), rejoints le temps de deux standards par Cécile McLorin Salvant au chant.

Nous sommes entre gens de bonne compagnie et nul ne s’en plaindra. Le répertoire de Watt’s, enregistré en juillet 2013, se partage entre une majorité d’originaux signés Nardin ou Boutellier (sans oublier le très beau « Highlander’s Walk » composé par Patrick Maradin) et trois standards (« The Gentleman Is A Dope », « East Of The Sun » et « Chinoiserie »). Et ce n’est pas faire injure, tant s’en faut, au quartet et à ses associés que de parler d’un disque aux accents souvent classiques, en ce qu’il paraît s’inscrire délibérément dans une certaine tradition du jazz. Il émane de Watt’s un climat proche des années 50, souligné par le chant de Cécile McLorin Salvant qui ne fait qu’accentuer ce sentiment d’un répertoire intemporel. Le disque exprime les bienfaits du retour aux sources et réussit l’alliance entre groove et amour des mélodies, portée par une énergie on ne peut plus actuelle. On en vient même à oublier que ces musiciens sont jeunes tant ils portent en eux l’héritage du jazz avec une détermination qui en dit long sur le travail accompli en quelques années. Les dix compositions de Watt’s chantent, au point qu’on est tenté de parler d’un disque heureux. Inutile de préciser que l’exécution de cette musique est tirée au cordeau et le plus beau compliment qu’on puisse faire est de noter qu’à l’écoute du disque, on ne fait plus vraiment la différence entre originaux et reprises. Il s’agit bien de la même musique, scintillante et cuivrée, au cœur de laquelle les chorus déjouent en toute sérénité le piège du bavardage. Comme sur cette « Chinoiserie » de Duke Ellington, offerte en conclusion du disque, qui souligne à la fois la cohésion du quartet et la volubilité de ses solistes d’un jour que sont David Ehnco et Bastien Ballaz.

Watt’s est un disque gourmand, le régime peut bien attendre…