Chronique

Petter Wettre

The Last Album

Petter Wettre (ts), Fred Nardin (p), Viktor Nyberg (b), Francesco Ciniglio (dm)

Label / Distribution : Odin Records

Petter Wettre est un personnage. Celui de sa propre histoire, celle qu’il aime se et nous raconter. L’homme, doté de beaucoup de second degré, cultive dramaturgie et ironie, au point que parfois le musicien s’en trouve pris au piège et que la fiction, donc l’art, rejoint la réalité. L’histoire vraie n’est pas banale : après avoir publié dix-sept albums dont une partie sur son propre label Householde Records, le saxophoniste norvégien décide en 2018 que le prochain sera son dernier et entreprend donc d’enregistrer de nouvelles compositions outrageusement mélodiques, aux tempi lents, en un mot des ballades.

Après avoir vécu aux États-Unis et bien sur à Oslo, c’est à Paris qu’il déménage et s’installe pour terminer le projet avec un nouveau quartet européen, au diable les habitudes. Il va être servi. Il s’installe en France tout début mars 2020 soit une dizaine de jours avant une période noire pour toute la profession. Confinement et restrictions viennent subitement fermer toutes les portes des clubs et handicaper le projet. Mais Wettre prend le parti d’en rire et transforme l’expérience en carte postale voire en roman photo. Il va projeter « son » Paris rêvé dans ses chansons. Il faut dire que pour quelqu’un qui cultive, à la Belmondo (Jean-Paul), un certain cabotinage qui amuse ou agace - c’est selon - un chant du cygne dans une capitale close est un comble parfait !

La vraie question demeure : est-ce qu’au delà de la désuétude, la musique est belle, vertueuse, chercheuse ? Oui, elle l’est. Écrite en 2018, elle est arrivée à maturation parfaite lorsque sort, en 2021, The Last Album finalement enregistré en Bretagne avec le sage Fred Nardin au piano, que contrebalance le pétillant Francesco Ciniglio à la batterie. Il a surtout le mérite de transformer une expérience, que d’aucun auraient qualifiée d’épreuve, en ode au plaisir !

Et c’est en live que le langage de ce musicien, qui a joué à la fois aux côtés de Kenny Wheeler et Manu Katché ou encore Arild Andersen, prend toutes ses couleurs. Le son du ténor, tout en rondeurs, charnelles disons-le franchement (« Everyday And Twice On Sundays », « Coup de Grâce », qu’il soit soutenu ou non par l’archet de la basse de Viktor Nyberg) est objectivement brillant, tout comme la technique.

Les compositions sont séductrices, parfois sirupeuses certes, mais elles sont surtout extrêmement sincères dans l’intention. Oui, en concert, la classe du bonhomme interpelle. Dans l’écriture (tous les titres sont des compositions de Wettre) la générosité envers ses co-équipiers est franche. Nous l’avons constaté en concert. Cet été à Oslo, Fred Nardin a été remplacé sur scène par Thomas Enhco, très porté lui aussi sur le romantisme. Et l’association a fait mouche. « Home » prend même des airs d’hymne que la salle reprend en chœur et « Famous Last Word » ressemble à un « Encore ». À se demander si le facétieux Petter Wetter ne se serait pas encore tiré d’affaire au moment d’annoncer devoir tirer le rideau. Bravo.