Frederick Galiay Time Elleipsis
Chamaeleo Vulgaris
Antoine Viard (bs, elec), Jean-Sébastien Mariage (g), Julien Boudart (synth), Frederick Galiay (b), Sébastien Brun & Franck Vaillant (dms, perc, elec)
Label / Distribution : Ayler Records/Orkhestra
Membre du Supersonic de Thomas de Pourquery, le bassiste Frederick Galiay est connu pour son jeu dur et dru, sec comme une trique et parfois délicieusement irrespirable. On se souvient de son Pearls of Swine où la rigueur de l’écriture se mariait avec une appétence pour le métal, si possible chauffé à blanc. Avec cet ambitieux Chamaeleo Vulgaris, nom commun d’un saurien polymorphe, le bassiste nous propose une ambiance d’apparence plus apaisée mais tout aussi tendue. Pour cela, il a choisi ses armes : pour l’accompagner, des compagnons nerveux comme Antoine Viard, le saxophoniste de Happy Diktat qui sait comme personne découper des masses orchestrales au baryton (« Naga Convulsions ») ou Sébastien Brun et Frank Vaillant, deux batteurs puissants et très sensibles aux atmosphères alcalines de Time Elleipsis.
Il est question de temps, donc, dans cette pièce unique qui mêle allègrement la musique très électrique avec le guitariste Jean-Sébastien Mariage, véritable sculpteur sonore, et Viard qui a doté son saxophone d’un dispositif électrifié. À cela s’ajoutent les synthétiseurs vintage de Julien Boudard, donnant une atmosphère très étrange à cette musique qui agit sur l’auditeur comme une succession de coulées de lave. La musique de Galiay suppure, elle monte en vagues successives comme le magnifique « Dharmakâya/Oiseaux Terrifiants » où l’ensemble des musiciens agissent comme des vagues, lentes mais inexorables. La musique de Galiay maîtrise le temps. Il le tord, il l’allonge, il joue avec la lenteur et en profite pour le densifier et le durcir. Le résultat est sombre et exaltant, toujours au bord de l’explosion.
Chamaeleo Vulgaris signe aussi le retour d’Ayler Records, et c’est l’une des meilleures nouvelles de 2020 qui en a bien besoin. La production est très soignée et toujours aussi radicale. Le disque de Frederick Galiay a été écrit au Cambodge et est fortement marqué, tant dans les titres que dans la musique, par la pensée bouddhique. Il n’y a pas de sentiment religieux dans ce disque mais une présence, un avatar, un dédoublement. Cela donne un sentiment assez puissant d’aura, de voyage immobile, renforcé par la confrontation profonde entre musique écrite et musique improvisée et par le lien très fort entre le guitariste et le bassiste. Chamaeleo Vulgaris a grandi, il a de fait changé de couleur, comme son nom le proclame, se teintant en plus sombre et en plus profond. Time Elleipsis est un disque qui s’écoute avec la plus grande attention pour plonger avec lui dans de luisantes ténèbres.