Chronique

GGRIL & Jean-Luc Guionnet

Tatouages Miroir

Label / Distribution : Circum Disc

Voici un an que le label lillois Circum nous a fait découvrir l’orchestre canadien GGRIL. Avec Tatouages Miroir, c’est le troisième album qui nous échoit en quelques mois, et qui nous permet de nous attacher à ces musiciens improvisateurs radicaux, à commencer par les cordes, en majorité ici : Isabelle Clermont à la harpe, tout comme Rémy Bellanger de Beauport au violoncelle offrent aux onze pupitres de GGRIL une profondeur rare, même dans les contrées les plus arides. Et c’est peu de dire que la musique de Jean-Luc Guionnet, auteur de l’unique pièce du disque, incarne le qualificatif. Les musiciens de GGRIL se sont fait une spécialité d’investir le répertoire de musiciens qui écrivent pour eux, avec en tête cet instrumentarium particulier où l’accordéon de Robin Servant côtoie la clarinette basse de Sébastien Corriveau : ce fut Ingrid Laubrock, puis John Butcher. Voici donc désormais Guionnet qui, s’il ne joue pas, laisse planer son ombre sur une œuvre rugueuse mais ouvragée.

Tout se construit autour d’un cliquetis, immuable même s’il disparaît par intermittences. Est-ce un claquement de la guitare électrique d’Olivier D’Amours ? Tout le laisse penser, mais il y a quelque chose d’indéfinissable, de volontairement dénué d’affect dans ce son et ce geste régulier, comme pour mieux mettre en valeur les mouvements organiques qui se passent d’abord en second plan avant de prendre le dessus et de définir une dynamique, une clé de voûte qui doit aller parfaitement à ce passionné d’architecture sonore. Le vent souffle, les cordes feulent, et se concentrent dans un flux qui repart de plus belle, dans le trombone de Gabriel Rochette qui gagne en puissance. L’orchestre est attentif à chaque mouvement mais n’aliène pas sa liberté d’aller où il veut. C’est exactement ce que souhaite Guionnet : « pousser le bouchon de la forme, le plus loin possible ».

Co-commandé par le GGRIL et l’Onceim, Tatouages Miroir a été envisagé par les deux orchestres pour en étudier les approches différentes. On aimerait vivement entendre la lecture parisienne de cette œuvre très ouverte : la vision de GGRIL, équilibrée et très charnelle est assez fidèle à ce qu’on a compris de l’orchestre à géométrie variable de la belle province : radical et doué d’un grand sens de l’écoute collective.

par Franpi Barriaux // Publié le 14 mars 2021
P.-S. :

Robert Bastien, Olivier D’Amours (g), Isabelle Clermont (hp), Alexandre Robichaud (tp), Éric Normand (b), Catherine S. Massicotte (vln), Rémy Bélanger de Beauport (cello), Gabriel Rochette (tb), Robin Servant (acc), Sébastien Côrriveau (bcl), Mathieu Gosselin (bs)