Chronique

GGRIL

Façons

Label / Distribution : Circum Disc

Voici une œuvre radicale ! Une vraie plongée dans les eaux mouvementées qui séparent les musiques improvisées des cousines contemporaines écrites, et où les ramifications changent en fonction de l’auteur des pièces et des forces en présence. Les musiciens nous sont inconnus pour la plupart ; comme nous l’avons écrit récemment, les artistes québécois peinent à traverser l’Atlantique en nombre s’ils ne sont pas chanteuses. C’est doublement dommage, car avec GGRIL paru sur le label Circum, nous en découvrons une palanquée qui poussent derrière la guitare électrique impavide et brûlante d’Olivier D’Amours, pivot d’un orchestre qui peut compter jusqu’à 17 pupitres. On pensera à ce qu’Olivier Benoit proposait avec la Pieuvre, notamment dans le premier morceau « Organon » écrit par la saxophoniste alto Caroline Kraabel. Dans la gestion de la masse orchestrale comme des mouvements persistants du maelström, on n’en sera pas loin.

Enregistré entre 2016 et 2018 à Rimouski, près de l’embouchure du Saint-Laurent, Façons propose trois pièces et autant de rencontres qui permettent, certes, d’apprécier des individualités (la trompette caniculaire d’Alexandre Robichaud, le trombone insatiable de Gabriel Rochette-Bériaud, tant de gens qu’on attend avec impatience d’entendre dans d’autres contextes...), mais aussi une impressionnante dynamique de groupe, qui s’exprime peut être mieux avec « Sur les genoux », une pièce commandée à Xavier Charles. Rémy Bélanger de Beauport au violoncelle est le gardien des mouvements séquencés et imprévisibles que pousse la contrebasse de Luke Dawson. La pièce, où l’on retrouve Ingrid Laubrock en qualité d’invitée, laisse davantage de place au silence et tranche avec l’unisson de la pièce précédente. Chaque cliquetis, chaque chuintement est une progression vers un point qui se veut central et nous conduit doucement vers le second album, fruit d’une rencontre avec le saxophoniste John Butcher.

L’Anglais n’est plus à présenter : on l’a entendu avec Gerry Hemingway ou récemment avec Daniel Studer. Sa pièce, la plus longue, est l’occasion de mettre en lumière la force de GGRIL, qui se nourrit de la dichotomie entre l’électricité et une vision plus acoustique, notamment avec l’accordéon de Robin Servant comme une sorte de lien transitionnel. L’orchestre roule à tombeau ouvert au bord du précipice. Même lors de moments moins pesants, la tension est conservée par l’usage des percussions de Tom Jacques ou de pizzicati imprévisibles qui éclatent comme des bulles de savon. Dans cette pièce plus ouverte à l’improvisation, où Butcher souffle sur les braises, l’orchestre présente indéniablement sa meilleure facette, même si elle est rugueuse et parfois irascible. Une découverte inattendue, de la plus belle des Façons.

par Franpi Barriaux // Publié le 5 mai 2019
P.-S. :

Alexandre Robichaud (tp), Catherine Massicotte, Raphaël Arsenault (tp), Eric Normand, Luke Dawson, Thomas Gaudet-Asselin (b), Gabriel Rochette-Bériau (tb), Matthieu Gosselin (bs), Olivier D’Amours, Robert Bastien, Pascal Landry, Marc-Antoine Mackin-Guay (g), Sébastien Côrriveau (bcl), Elizabeth Lima (cl), Rémy Bélanger de Beauport (cello), Robin Servant (acc), Isabelle Clermont (harp), Jonathan Huard, Antoine Létourneau-Berger, Tom Jacques (perc) + Guests : Caroline Kraabel (as), Ingrid Laubrock (ts), John Butcher (ss, ts)