Sur la platine

Concerts en Avignon à emporter


Parmi les traditions qui marquent les saisons, il y en a qui ont la vie dure, comme le Beaujolais nouveau ou le muguet du premier mai, et d’autres plus récentes qui se sont vite fait une place, comme Halloween…

Puis, pour les amoureux de musiques libres et exigeantes, les sorties en téléchargement des spectacles de l’Association pour le Jazz et la Musique Improvisée sont devenues des rendez-vous programmés. Ils peuvent ainsi dépasser le cadre de la Manutention, le Jazz-Club d’Avignon à la programmation si large. Depuis 2014, l’automne n’est plus seulement l’époque où tombent les feuilles. Les fichiers aussi virevoltent, et ce sont vingt-et-une captations qui sont désormais disponibles, de Fabrice Martinez à OZMA.Nous en avions déjà parlé.

Si la dématérialisation de la musique enregistrée produit parfois un sentiment de régression qualitative et de submersion quantitative, il est indéniable qu’elle offre, à qui sait s’en servir, un éventail de possibilités absolument excitant. Acteur du disque depuis des années, l’AJMI a prolongé son travail autour de son label AJMIséries par la création d’une offre de concerts à emporter qui illustre la grande diversité de ses affiches. C’est ainsi que les années précédentes on trouvait à la fois une magnifique prestation de JASS et l’album The New Songs, le projet d’Eve Risser et Sofia Jernberg, bien sûr toujours disponibles sur les sites et plates-formes dédiées. C’est une logique du coup de cœur qui préside aux choix ; il s’agit d’une construction de l’identité de la salle autant que d’une volonté de témoigner de la vivacité d’une scène. Témoin le François Cordas Trio avec Simon Tailleu à la contrebasse, aujourd’hui l’une des rares occasions d’entendre cet orchestre.

Au sein de la nouvelle livraison, forte de six occurrences, on s’arrêtera bien sûr avec gourmandise sur le solo de Benoît Delbecq, exercice de funambule qui débute par un « Circles and Calligrams » perclus d’effets et d’électronique, et se termine par « Yompa » dédicacé à Guillaume Orti où une rythmique complexe se déroule dans un climat plein d’étrangeté où les objets frottent les cordes. L’enregistrement est tellement pur qu’on a parfois l’impression de se pencher sur le piano tout en étant dans la salle. Un don d’ubiquité qui permet de saisir aussi bien les murmures du pianiste que les toux de nos voisins numériques. Un concert comme en vrai !

C’est un peu la même chose, dans un contexte pourtant différent avec la performance qui réunit le contrebassiste Guillaume Séguron, un habitué de la salle avignonnaise et la saxophoniste belge Audrey Lauro, qu’on a pu entendre avec Lynn Cassiers. I Call You When You Get There est une rencontre intense, très narrative, où le son sec et parfois agressif du contrebassiste agit comme un véritable boutefeu sur un alto aussi fragile qu’un solution inflammable instable (« Best To Park In Your Garage »). Ce volume 21, en totale liberté, est sans doute la meilleure surprise de cette livraison 2017 où l’on retrouve également Cadillac Palace ou Daunik Lazro avec Bernard Santacruz et Christine Wodrascka. En prime, contrairement au Beaujolais, les AJMIlive ne causent pas de brûlures d’estomac…