Chronique

GGRIL

Plays Ingrid Laubrock

Label / Distribution : Circum Disc

Depuis Two Works for Orchestra with Soloist, et même auparavant avec son octet et plus singulièrement avec son Anti-House, on connaît le talent d’Ingrid Laubrock pour l’écriture à visée contemporaine. Sa science de l’équilibre entre vents et cordes comme entre ombre et lumière ; une double structure, ou peut-être sculpture, celle de la couleur et celle du silence, ainsi que divers processus qu’elle a glanés çà et là, comme elle nous le confiait dans son interview. Avec une mention spéciale pour Anthony Braxton. On le sentira avec force au milieu de ce « Silent Lights » fait de flux et de reflux, où le violoncelle de Rémy Bellanger de Beauport se frotte à la clarinette basse de Sébastien Corriveau. Voici deux forces qui se neutralisent pour créer de l’énergie, à l’image d’un barrage sur un fleuve limoneux. Le Saint-Laurent ? Peut-être puisque le disque est enregistré à Rimouski au Canada, avec le GGRIL, orchestre à pupitres variables, ici dodécatette.

Car d’Ingrid Laubrock il n’y a point dans le line-up. Contrairement au précédent album des Québécois où elle était invitée, elle n’a fourni ici que le matériel inédit, la partition dont le GGRIL s’empare avec une gourmandise non feinte, comme sur « Start Dark » où la guitare électrique d’Olivier D’Amours fait parler les watts, non sans écorcher tout l’orchestre qui se réduit vite en un concert de souffle. Il faut dire que ce court album est le royaume de l’embouchure : Alexandre Robichaud à la trompette tient le rôle du point de tension et Gabriel Rochette Bériau au trombone est le dynamiteur en chef. Le choix de ne pas mettre de saxophone dans le dispositif timbral est délibéré et pour tout dire très malin, comme celui de s’affranchir de batterie (seul Jonathan Huard joue des percussions, davantage vouées à donner du relief, notamment dans le court « Palindromes ») : jouer la musique d’Ingrid Laubrock sans les habitudes d’Ingrid Laubrock. Percer différemment le mystère…

C’est avec grand plaisir qu’on retrouve les musiciens du GGRIL dans un exercice complexe mais extrêmement riche. Il faut féliciter le label Circum pour l’opiniâtreté qu’il met à aller chercher de la musique exigeante aux quatre coins du monde, et pour avoir récemment ouvert une fenêtre sur la Belle Province. Il ne faut pas songer cependant que ce grand orchestre pensé comme un collectif n’est qu’un ensemble de répertoire, fût-il diablement moderne. L’expression du GGRIL n’appartient qu’à eux, et ils ont fait leur la musique d’Ingrid Laubrock qui s’en trouve transfigurée mais nullement dénaturée. Un très bel exercice, qui mérite une grande attention.

par Franpi Barriaux // Publié le 3 mai 2020
P.-S. :

Alexandre Robichaud (tp), Robin Servant (acc), Gabriel Rochette-Bériau (tb), Sébastien Corriveau (bcl), Rémy Bélanger de Beauport (cello), Catherine S. Massicotte (vln), Pascal Landry, Olivier D’Amours, Robert Bastien (g), Luke Dawson, Éric Normand (b), Jonathan Huard (perc)