Entretien

Gaël Horellou

Ce n’est certainement pas un hasard si son dernier album en date, le premier qu’il signe sous son nom, s’intitule « Explorations ». Gaël Horellou est un chercheur, un creuseur de sons qui a l’étoffe d’un pionnier. Ses identités multiples en font depuis quelques années l’un des musiciens les plus créatifs de la scène musicale hexagonale. Et ce tous styles confondus.

Sans cesse « borderline », ce brillant saxophoniste/machiniste aime faire valser les étiquettes. Enfant du jazz et de la techno, il a su donner au cours de ses nombreuses formations et expériences du sens à un terme que l’on croyait galvaudé : l’électrojazz.

Toujours sur la brèche, son tempérament de leader éclate aujourd’hui avec Explorations. Mais - bonne nouvelle pour ceux qui suivent son parcours depuis quelques années - il remet aussi le couvert avec Cosmic Connection. Sans Jahbass, mais toujours avec Philippe « Pipon » Garcia à la baguette, le groupe tourne de nouveau. Le troisième album de Cosmic, intitulé Grand Panache, devrait d’ailleurs sortir fin septembre, également sur le label DTC Records. Un deuxième disque d’NHX, formation dont Gaël Horellou est également le leader, est programmé pour l’hiver prochain.

Indispensable souffleur de transe aux côtés de Laurent de Wilde durant la période « électro » du pianiste, c’est avant un concert d’Organics que nous l’avions rencontré il y a quelques mois pour Citizen Jazz.

  • Tes débuts ?

Comment j’ai commencé la musique ? Eh bien j’étais dans une école primaire où il y avait cinq instits, et sur les cinq il y en avait trois qui jouaient du sax. Du coup il y avait une éducation musicale vachement sympa, dans cette école. On faisait tous de la flûte, des percus… Et puis moi ça m’a branché tout de suite la musique. J’avais direct une affinité pour ça. Après la flûte à bec, j’ai eu naturellement envie de faire du sax, du coup j’ai commencé en CM1. Je devais avoir neuf ans.

Gaël Horellou © H. Collon/Vues sur Scènes

Après j’ai pris des cours particuliers avec un prof sur Caen. Moi je m’éclatais à écouter Sydney Bechet tout ça…Le vieux jazz, les big bands… Donc j’avais envie de faire du jazz ! J’ai commencé des ateliers au Caen Jazz Action, et après je suis rentré dans la classe jazz du Conservatoire à Caen. C’était une des premières du genre en France. Là, j’ai suivi l’apprentissage classique. En fait, j’ai toujours appris comme ça. Sauf que j’ai jamais fait de sax classique.

  • Et les premiers groupes ?

Déjà à quatorze ans je montais des groupes… On allait faire la manche sur la côte, à Deauville… On jouait aussi pour le lycée, tous ces trucs là quoi. Des formations jazz, funky… Après mon bac je suis parti habiter Lyon, puis je me suis inscrit à l’école de musique de Villeurbanne où il y avait un bon département jazz. J’y suis resté un an et c’est là que j’ai rencontré les gars du Collectif Mu. Ils montaient le collectif à Mâcon. Là, ça a été le pas décisif ! J’ai décidé de consacrer ma vie à la zique, jour et nuit, et depuis que je n’ai plus rien fait d’autre. C’était en 94.

Dans ce collectif nous étions une dizaine de musiciens. C’était un projet assez gros, puisqu’on a été jusqu’à construire un lieu de diffusion qui s’appelle le Crescent Jazz Club à Macon. Nous étions jeunes, on avait envie de jouer, de se confronter à des musiciens plus vieux. L’idée de ce lieu, c’était d’inviter des musiciens aguerris, de Paris pour la plupart, et puis aussi de l’étranger. On les invitait, et puis on tournait un répertoire avec eux. Semaine après semaines, nous avions l’occasion de jouer avec des gens qui nous ont transmis ce qu’on n’apprend dans aucune école : jouer en situation, savoir réagir.

Nous avons aussi enregistré deux disques. Collectif Mu c’était tout ça : des petites formations, un gros groupe, un club… C’était musique nuit et jour, à 100% et je crois que c’est là que’ai appris à jouer. Ça a été une excellente expérience pour avancer en tant que musicien.

  • C’est aussi de là qu’est né ton penchant pour l’électro ?
Gaël Horellou © H. Collon/Vues sur Scènes

Au sein du Collectif, j’avais des affinités avec Philippe Garcia avec qui on voulait monter une autre formation. Ça a été Cosmic Connection. Ça c’était en 97. En 96 on gagnait le concours de la Défense avec Collectif Mu et on commençait les expérimentations électro avec Philippe Garcia.

  • Tu as commencé ces expérimentations en écoutant quoi ?

Pipon à cette époque, il kiffait déjà pas mal le dub et la drum’n bass. Moi j’avais dans l’idée de chercher un son… Je savais pas trop où on allait. Moi j’avais à ce moment-là plus d’affinités avec la techno. Et puis finalement j’ai découvert la drum’n bass après. Donc au début Cosmic c’était le chantier ! Il y avait des morceaux très différents. Moi j’amenais des trucs, allez, on va dire « ethniques de l’espace »… Il y avait des morceaux plus dub… En avançant dans cette démarche, on a rencontré Jérémie Picard, Jahbass sous son nom de dj. Lui avait une grosse culture musicale en général. Il était monté à Paris pour participer à la vibe dj et puis pour faire du live machine. Avec lui l’idée du groupe a avancé et puis on a commencé à faire des trucs de plus en plus drum’n bass. On s’est recentrés sur ce style, avec un peu de break core.

  • C’est un groupe où tu jouais finalement peu de sax non ?

L’idée n’était pas de faire du jazz. On ne se plaçait pas dans une logique où il y avait un chorus de sax comme il peut y en avoir dans le jazz. Notre intérêt n’était pas là. Notre intérêt c’était trouver des formes, un son où l’on peut utiliser le saxophone. Depuis, je reste dans cette démarche. Quand il y a un chorus qui part c’est bien, mais fonctionner systématiquement en format thème-chorus-thème, c’est un hors sujet si tu te retrouves sur un scène avec du gros son et des machines. Ce n’est pas pousser l’idée très loin que de répéter toujours les mêmes formes. J’essaie de toucher un nouveau son en utilisant les machines, mais aussi d’arriver à trouver une nouvelle dynamique d’orchestre. Ça peut par exemple être des riffs, des ritournelles qui vont faire que la musique devient plus hypnotique. Ça peut aussi être des variations dans le rythme, dans le timbre…

  • C’est d’ailleurs ce genre d’éléments que tu utilises avec NHX, une autre formation dont tu es le leader…
Manu Borghi © H. Collon/Vues sur Scènes

Oui. Avec Pipon, nous avions lancé l’idée d’organiser une rencontre avec One Shot, le groupe de Manu Borghi, le pianiste qui joue avec Christian Vander depuis une quinzaine d’années. En 2003 on a lancé la rencontre à la Cave à Musique de Mâcon, mais Pipon n’était déjà plus très disponible, puisque qu’il jouait avec Truffaz. Moi j’avais vraiment envie de le faire, et j’ai demandé à Yoann Serra de remplacer Pipon. Cela a donné NHX.

  • Vous avez d’ailleurs pris des risques, puisque le premier disque était en fait votre premier concert !

Et ouais, premier concert enregistré en 24 pistes…C’était de la bombe ! Mais il y avait quand même des mois de travail et de pré-prod derrière.

  • C’est un peu la démarche que tu as suivie en travaillant avec Laurent De Wilde ?

Avec Laurent on s’est rencontrés à l’époque de Cosmic Connection. Il est venu jouer quelques mois avec nous, et après on a intégré son premier projet électrojazz, « Time for Change ». Il cherchait lui aussi à amener des machines sur scène. Après, il y a eu un deuxième disque, puis Organics. Là, je me suis servi de mon expérience avec NHX pour amener une manière de composer intéressante entre musiciens et ordinateur. Comment dire… Les musiciens apportent leur énergie, leur vécu, leur son, leurs idées… Moi j’essaie de capter ça pour l’enregistrer et le traiter à la manière d’un sample. Mais la musique vient vraiment de l’inspiration des musiciens, de ce qu’ils peuvent amener en tant qu’instrumentistes quoi… Après, j’essaie d’aller plus loin, je fais un vrai travail de production pour rendre l’approche originale. L’objectif est vraiment d’arriver à une fusion entre la machine et les musiciens. Ce n’est pas simplement de faire tourner une boucle et de jouer par dessus…

  • En t’observant sur scène, on voit d’ailleurs que tu joues beaucoup sur l’interaction machine-musiciens…
Yoann Serra© H. Collon/Vues sur Scènes

Le live c’est encore autre chose. Il faut arriver à rendre la machine vivante. Pouvoir surprendre les musiciens. C’est ça qui amène un « jouage » différent, qui fait que l’on n’est pas dans quelque chose de formaté ou de figé.

  • Comment penses-tu la combinaison batterie-machines sur scène ?

En fait, j’enregistre d’abord la batterie. Je la traite, je cale des sons d’ordi dessus. Je fais en sorte que ça se mélange bien, que les timbres se marient pour rendre le truc plus « fat ». Sur scène le batteur peut jouer un truc simple et droit, avec les machines qui chargent un peu plus. Le contraire est aussi valable. A ce moment-là, c’est la machine qui reste très simple et le batteur peut, lui, délirer.

  • Tu réalises le même travail pour le sax ? Tu cherches de nouvelles textures ?

J’aime bien les unissons, le mélange du sax et des sons synthétiques. Je ne joue pas de sax midi, parce que j’aime trop le son du sax. Je trouve ça plus intéressant de mélanger les timbres. On retrouve toujours la chaleur et l’intention qui sont lisibles dans le son du sax acoustique.

  • Tu joues beaucoup sous forme de « workshop » dans les bars ou cafés-concerts à Paris. C’est une bonne manière d’expérimenter, d’imaginer de prochaines formations ?

J’aime bien cette idée de workshop. Parfois on a répété avant, parfois non. On crée de la musique sur le moment, et il y a toujours des choses intéressantes qui sortent. Après il faut du temps pour reprendre ça bien à plat, et pourquoi pas créer des morceaux. Mais je trouve ça intéressant de partir sur une base improvisée, jammée… Il y a toujours des bonnes idées qui viennent. Après il faut rationaliser ça à l’ordinateur, il faut passer du temps pour aller plus loin.

  • Tu envisages de travailler encore longtemps avec l’ordinateur ?
Laurent De Wilde © H. Collon/Vues sur Scènes

Ben… Pour l’instant ça marche, c’est vraiment intéressant. J’ai terminé cette année un projet 100% électro, 100% boum-boum ! A écouter fort… Ce projet s’appelle Dual Snake. C’est carrément drum’n bass et un peu break’core. Ça faisait longtemps que j’avais envie d’un projet comme celui-là. Je n’ai même pas joué de sax dessus.

  • Tu peux aussi parler un peu d’Explorations, ton autre album solo qui vient de sortir ?

Là, l’idée c’était de faire ma cuisine, mais en ne partant pas de gros sons ou de tourneries issues des musiques binaires. Je voulais laisser ça de côté pour une fois, et m’intéresser du coup au son jazz, au swing, au latin comme on peut le jouer dans le jazz… Donc j’ai pris ces éléments-là, et puis j’ai travaillé comme je le fais toujours sur l’ordi : sampling, permutations, placements pour donner des rythmes originaux… Mais je voulais rester dans le son jazz. Cela faisait longtemps que je voulais faire ce truc. Mon premier background, mon premier kiff, c’est quand même le jazz. Ce projet, c’est plus de la musique à écouter chez soi.

  • Qui sont finalement les musiciens qui ont compté pour toi ? Ceux que tu as beaucoup écoutés ?

J’ai écouté plein de trucs… Steve Coleman, Squarepusher, beaucoup de drum’n bass… Mais je ne pourrais pas dire que je me suis inspiré de telle ou telle chose. J’essaie d’aller vers ce que je ressens. Mais je n’ai pas l’impression de m’inspirer du travail d’une personne en particulier. C’est plus une sorte de bain culturel de ce que je vis jour après jour en musique… Après, je sais que Steve Coleman par exemple a eu une importance pour moi. J’ai beaucoup écouté ça. Sinon Charlie Parker ! Parker c’est génial…

  • Le bop tu y reviens souvent non ? Je me souviens de ta participation à un hommage à Gigi Gryce il y a deux ans à la Maison de la Radio…

Ouais ! De temps en temps du bop pur et dur ça fait du bien !


Discographie :

  • Gaël Horellou : « Explorations » (DTC Records - La Baleine 2006). Cet album fera prochainement l’objet d’une chronique dans les colonnes de Citizen Jazz.
  • Dual Snake : « Dual Snake » (DTC Records - La Baleine 2005)
  • NHX : « NHX » (DTC Records - La Baleine 2003)
  • Laurent De Wilde : « Time for Change » (Warner Jazz 2000) ; « Stories » (Warner Jazz 2003) ; « Organics » (Nocturne 2004)
  • Cosmik Connection : « Electrojazz4tet » (Plein Gaz - Pias 1999) ; « II » (Cosmik Prod-La Baleine 2001)
  • J-B. Culot Quintet : « Live à Puzzle » (Arvi 1995)
  • Collectif Mu : « Live au Crescent » (7th records - Harmonia Mundi 1995) ; « Don Quichotte » (7th Records - Harmonia Mundi 1996)
  • D. Sauzay & G. Horellou Quintet : « Versus » (Fresh Sound 1999)
  • Luigi Trussardi Quintet : « Introspection » (Elabeth 2001)
  • UHT : « Pic de Pollution » (Black Tambour - La Baleine 2001)
  • Volta & FX 909 : « Perspectives » (Black Tambour- La Baleine 2003)
  • DJ Ben : « B’Komin » (No Fridge - Chronowax 2003)