Chronique

Gellért Szabó Ideal Orchestra

Live at Berghain

Label / Distribution : Boomslang Records

Né à Leipzig il y a quelques années, l’Ideal Orchestra est un ensemble à l’instrumentarium au premier abord déroutant, dirigé par l’Allemand d’origine hongroise Gellért Szabó. Pourquoi déroutant ? Parce que sur les 19 pièces, on trouve trois chanteurs, trois batteries, un quatuor à cordes avec trois violons et un violoncelle, une basse assurée par une clarinette et un tuba, ainsi qu’un accordéon très en avant. Sa titulaire, Suzanne Stock, est d’ailleurs en première ligne sur « Edelstahl » où elle lutte contre l’électronique avant que les soufflants reprennent le dessus, non sans grandiloquence. Il y a un décorum dans la musique de Szabó qui emprunte à la musique écrite occidentale, où les voix du chœur donnent une profondeur folle à cette musique très vaste, foncièrement païenne, comme on le découvre dès « In media res », l’imposante ouverture de l’album, qui dresse des montagnes (magiques ?) que le son va sculpter.

Szabó, lui, ne joue pas, préférant la direction à base de signes, dans la tradition du Soundpainting. Elève de Ronny Graupe et de Stefan Schultze pour la composition, on pense intensément à se dernier dans la conception même de l’orchestre. « Psalm », ouvert par le dialogue entre le saxophone Friederike Bartel et le tuba de Philipp Reinsch avant que les cordes transportent le tout dans un éther inquiétant, illustre la pratique d’une improvisation dirigée qui tutoie la création contemporaine. Les batteries de Johannes von Butlar et Felix Kothe encadrent des timbres volontiers entremêlés d’où les cordes sortent groupées et conquérantes, bien que coursées par l’électronique des synthétiseurs vintage de Justin Remfrey (« Journey Back to The Familiar Land »).

Dans les formules courtes d’une œuvre très dense, appelée à être jouée dans de grands espaces hauts de plafond, des gares aux friches industrielles, la musique de Szabó est marquée par un grand mysticisme et une puissance digne d’un Deus ex Machina dévastateur, qui convoque une atmosphère de musique ancienne pour mieux cerner un propos où la gravité et la mort sont omniprésentes (« Requiem for Gellért Szabó »). Ce disque témoigne des choix éclectiques de la cantine d’une des boîtes de nuit les plus mythiques et select d’Europe. Profitez de ce Live at Berghain, c’est peut être la seule occasion que vous aurez d’entrer - ne serait-ce que d’une oreille - dans ce temple de Berlin sans devoir amadouer le videur.

par Franpi Barriaux // Publié le 25 mai 2025
P.-S. :

Gellért Szabó (dir), Lorenz Bergler (bcl), Floortje Beljon, Myrsini Bekakou, Floortje Beljon (vln), Alejandro Barria (cello), Gustav Geissler, Friederike Bartel (s), Rebecca Chammas, Maximilian Bischofberger, Barnabas Herrmann (voc), Gregor Littke, Georg Demel (tb), Simon Lucaciu (p), Justin Remfrey, Stephan Deller (kb), Philipp Reinsch (tu), Susanne Stock (acc), Johannes von Buttlar, Felix Kothe, Johannes Bode (d)