Chronique

Coronado / Collier / Branch / Daisy

Stembells

Gilles Coronado (g), Isaiah Collier (ss, ts, perc), Jaimie Branch (tp, elec, fx), Tim Daisy (dms, perc).

Label / Distribution : The Bridge Sessions

Les tournées et les projets ont parfois leur lot de malheur et d’infortune ; ce ne sont pas les moins belles, car reste le souvenir. C’est ce qui ressort de Stembells, nouvel avatar des tournées The Bridge, qui présente une équipe alléchante, prête à sillonner le monde et faire de l’Atlantique son jardin pendant plusieurs mois. Un quartet chevronné, où la guitare de Gilles Coronado, toujours aussi nerveuse et à propos, dans un style qui rappelle La Main, se confronte aux percussions aériennes de Tim Daisy, un musicien coutumier des projets de Dave Rempis. L’ambiance est à la découverte, en ce mois d’avril 2022 à Chicago, avec une improvisation qui s’offre le temps : le sax bardé d’électronique d’Isaiah Collier se frotte à l’électricité, oblige Coronado à durcir le jeu, vite suivi par Daisy. C’est Jaimie Branch qui s’installe soudainement sur ce chaos, sur ce déchirement collectif inopiné, avec un naturel désarmant.

Et puis c’est le mois d’août 2022. La tournée de Stembells ne sera plus la même, avec la disparition de la talentueuse trompettiste. Heureusement, il en reste quelques traces. Ce disque, et des chroniques des concerts. À l’écoute de ce titre unique et coloré, qui vaut tant d’épitaphes, on goûte la synergie de l’orchestre et cette capacité à se trouver, sous le masque très fardé de l’électronique. On sait que l’histoire de cet orchestre a été assez chaotique, plusieurs remplacements au pied levé, l’arrivée d’Émilie Lesbros pour quelques concerts… On perçoit dans ce disque cette urgence, ce renversement continuel que la guitare de Coronado, très en avant, ne cesse de bousculer.

Jaimie Branch est, quant à elle, relativement lointaine dans ses prises de parole, favorisant le cœur de l’orchestre, ce travail de l’ombre au milieu des machines. Lorsque la trompette domine néanmoins, c’est pour éclaircir le chemin, avec une douceur qui nous rappelle amèrement sa perte et ce qu’elle savait offrir à ses compagnons d’improvisation. Davantage qu’un simple témoignage, Stembells est un cri du coeur pour cette musique vivante, captée à jamais sur un support.

par Franpi Barriaux // Publié le 4 février 2024
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