Chronique

Foltz, Oliva, Chevillon

Soffio di Scelsi

Label / Distribution : La Buissonne / Harmonia Mundi

Nous voici en plongée au cœur du son, dès le « Sogno I » qui commence cet album étrange, Soffio di Scelsi, en hommage au compositeur italien contemporain Giacinto Scelsi, mort en 1988 qui considéra jusqu’à son dernier souffle justement, « le son comme la force cosmique essentielle », le « premier mouvement de l’immobile ».

Le trio, constitué de Stephan Oliva au piano, Bruno Chevillon à la contrebasse et Jean-Marc Foltz aux clarinettes, est idéal pour interpréter librement une musique des lisières, soulignant le rapport étroit entre les musiques improvisées et le champ contemporain. C’est une version très personnelle, une réinterprétation libre et fidèle à l’esprit du maître, et que la contrebassiste Joelle Léandre, qui a connu et travaillé avec Scelsi, a pleinement légitimée. Jean Marc Foltz, clarinettiste de l’Intercontemporain, avant de se consacrer au jazz, avoue son émotion lors de la rencontre en 1992, avec cette musique : « Scelsi touche en plein centre le musicien qui improvise ; c’est à l’intérieur du son que naît sa musique. »

On se situe ailleurs, à l’écoute de cet ensemble si peu académique, suivant un parcours peu balisé, qui suppose donc un engagement complice : dans une exploration des limites, où les variations d’atmosphère vibrante et poétique prennent le temps de se fixer dans des tableaux sonores complexes. En travaillant le son à leur manière, les musiciens improvisent une suite de petites pièces, quatorze au total, incluant, lors du « Sogno XIII », des citations originales, dites par Bruno Chevillon. Une tentative pour éclairer cette vision « universale » de « rythmes profonds surgissant du dynamisme vital ».

C’est d’ailleurs le souvenir de la création au théâtre de la Minoterie, en mai 2005, à Marseille, que ravive l’écoute attentive du disque. Assis à une table, à la lueur d’une lampe, le contrebassiste écrivait puis lisait des extraits de ce compositeur inspiré par la musique du monde et le souffle de l’univers. Démarche singulière de transposition d’un univers en sons, plus encore qu’en couleurs, même si Scelsi voyait du jaune et du rose animer l’atmosphère. Il créait à sa façon, en poète visionnaire, une alchimie nouvelle, non plus du verbe, mais du son.

Le trio favorise l’immersion dans le registre des bruits, depuis les imperceptibles bruissements à la clarinette basse, soulignés délicatement par le piano, jusqu’au fracas d’orages telluriques quand Chevillon assène des coups de mailloche sur les caisses claires qui l’entourent, ou quand chacun s’arme de percussions diverses, cloches et gongs.

La prise de son est essentielle dans un tel projet : le « quatrième homme », indispensable pour capter cette aventure, connaît bien les musiciens, anticipe parfois leurs désirs. Ce ne pouvait être que Gérard de Haro, le maître de la Buissonne. Il était donc parfaitement naturel que l’enregistrement se fasse au studio, en prise directe acoustique, sur le label même de La Buissonne sous l’égide de Philippe Ghielmetti.

Cet album à l’élégance savante, tout de vents, cordes et bois, se découvre lentement au fil d’une traversée initiatique, au cœur de la musique des sphères. Une rencontre somnambulique, qui n’était possible que dans le clair-obscur d’une musique de rêve éveillé, où résonnent des accords mystérieux et troublants, des sonorités étrangères à nos perceptions ordinaires. On puise à la fraîcheur d’une musique sans nostalgie, ouverte au monde, de climats percussifs en moments de méditation. Entre réflexion, lucidité, intensité et croyance.