Chronique

Gordon Beeferman

Other Life Forms

Gordon Beeferman (p, cla), Stephanie Griffith (vla), Pascal Niggenkemper (b), Andrew Drury (dms)

Label / Distribution : Different Track Recordings

Gordon Beeferman est de ces musiciens, guère connus en France, qui nous arrivent par la grâce de l’Internet et des descentes en rappel dans les excavations les plus profondes de Bandcamp. Compositeur renommé à New-York, il a travaillé avec l’American Brass Quintet dans des sphères proches de la musique contemporaine (on notera aussi une collaboration avec les lauréats du concours allemand Deutscher Musikwettbewerb). Il ne néglige pas non plus un certain jazz chambriste tel qu’on l’entend dans ce quartet Other Life Forms, où l’on retrouve le contrebassiste Pascal Niggenkemper en soutien d’un échange constant entre Beeferman, tiraillé entre le piano et un orgue Hammond qu’on croirait extrait d’une église (« Creep »), et le violon alto de Stephanie Griffin qui se pique parfois de distancer le clavier à la course.

Pour accompagner un Niggenkemper très structurant, on retrouve Andrew Drury, qu’on a déjà pu entendre avec Taylor Ho Bynum. Ce batteur bien installé sur la scène de la côte Est sait alterner les frappes dures, capables de pousser l’alto dans se retranchements (« Get Got »), et de jolis motifs percussifs permis par la solidité de la contrebasse, comme c’est le cas sur « That’s a Wrap ». Dans ce morceau, on mesure l’influence de Ligeti et surtout de Nancarrow sur l’écriture de Beeferman ; dans un album précédent, Four Parts Five, il leur rendait hommage. Ici, dans le très beau « Bad Strategy » où les cordes et la percussions sont décisifs, les liens sont forts. Ce sont sans doute ces influences communes qui évoquent parfois un caractère zappaïen tardif. Ce n’est pas le discret clin d’œil de « Puddle Jump » qui atténuera cette impression.

Les autres formes de vie de Beeferman ne sont pas hostiles, même si elles sont vivaces. Elles peuvent s’avérer amicales dans « Hourglass Daydream » quand Niggenkemper se saisit d’un très beau solo. Elles embrassent tout à la fois des allures de bop froissé aux rythmiques instables, d’improvisations collectives et de montages contemporains avec une fluidité étonnante quoique parfois légèrement désincarnée. La musique de Beeferman est intelligente et sensible, servie par de grands musiciens. Cela suffit au bonheur de la découverte.

par Franpi Barriaux // Publié le 17 février 2019
P.-S. :