Chronique

Sartorius / Courvoisier / Rothenberg

Lockdown

Julian Sartorius (dms, perc), Sylvie Courvoisier (p), Ned Rothenberg (as, cl, bcl, fl)

Label / Distribution : Clean Feed

Des musiciens comme Julian Sartorius donnent à la batterie une dimension physique, charnelle, qui s’exprime d’autant mieux quand il est bien entouré. Dans « La Cigale », premier titre de ce Lockdown sorti chez Clean Feed, il montre immédiatement qu’il est dans des conditions idéales, plus proche que jamais de ce qu’il avait énoncé dans Zatter il y a plus de six ans. Une batterie qui respire, ou peu s’en faut, une caisse claire comme une peau qui s’abandonne à toutes les réactions, une rythmique qui serpente sans rien perdre de la pulsation, une boule de nerfs et d’émotions qui a trouvé en Sylvie Courvoisier, remarquable d’écoute et d’inventivité main gauche, et en la personne du multianchiste Ned Rothenberg, les compagnons idéaux. La première, il la côtoie depuis 2015 dans son trio. Quant à la relation entre la pianiste et le musicien de Tzadik, elle est tout aussi ancienne, notamment en trio avec Mark Feldman. Il résulte, dans Lockdown, une sensation d’émulsion immédiate, à l’image de « Requiem d’un songe ».

Dans ce morceau, c’est le silence, d’abord, qui nous accueille. Une clarinette basse semble arriver à pas comptés, à peine plus léger que des pas dans la neige, renforçant un climat d’éther que les cymbales soulignent à peine, comme une ombre. Le reste est l’affaire de Courvoisier, dont le tintement debussyen se laisse dompter par la mécanique subtile de Rothenberg. Ça ne dure pas, car tout ici est éphémère, et une soudaine levée de batterie vient sonner le réveil, et quelques temps de troubles que la clarinette ordonne sans ciller. Le trio, en errance, devient alors plus puissant, presque inéluctable dans sa volonté d’avancer tout droit, sans cependant abandonner un certain sens du détail et des déviations que le coloriste Sartorius invente systématiquement dans l’instant.

Lockdown renvoie à un état d’esprit que l’on connaît hélas trop bien ces derniers mois. Un mélange d’espoirs, de doutes, de nervosité et d’ataraxies soudaines. On est bousculé, ballotté par ces musiciens qui goûtent follement la forme du trio. Avec Sylvie Courvoisier, capable de toutes les variations de temps et de climats, l’orchestre nous touche profondément. Dans le beau et hélas bien nommé « Quarantina », c’est au tréfonds des cordes de son piano qu’elle va chercher des émotions auxquels Sartorius et Rothenberg adhèrent immédiatement. Lockdown parvient à ne jamais s’enfermer ; rien que ça, c’est une performance.

par Franpi Barriaux // Publié le 30 janvier 2022
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