Sur la platine

Trompettes de la renommée

Trois enregistrements discographiques paraissent où la trompette, instrument sacralisé du Jazz, est mise en évidence.


Tout au long du XXe siècle, des générations successives de trompettistes ont semé des pépites, en particulier dans le bebop, alors que certains de leurs contemporains n’eurent pas toujours les honneurs de la presse. Beaucoup terminèrent leur carrière comme seconds couteaux. Restent alors les rééditions bienvenues surgissant après des décennies, et qui se confrontent à l’actualité des sorties discographiques, avec toujours en toile de fond la trompette qui, elle, n’a pas dit son dernier mot.

Tout d’abord nous retrouvons la poésie unique de Chet Baker avec cet enregistrement inédit, Blue Room : The 1979 Vara Studio Sessions In Holland. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cet album est une pure délectation. Chet et ses musiciens inspirés donnent une leçon de musique magistrale d’une fraîcheur providentielle. Les bandes enregistrées nous parviennent après quarante-quatre ans, sans produire la moindre impression poussiéreuse, tant du point de vue artistique qu’en matière de restitution sonore. C’est un moment de grâce dans la carrière tumultueuse du trompettiste et tout simplement l’affirmation d’un créateur autodidacte éblouissant. Ces séances enregistrées au studio d’Hilversum dans le légendaire Vara Studio 2 par Edwin Rutten sont empreintes de magnétisme. Deux quartets se succèdent, d’où émerge Phil Markowitz qui sublime les solos de Chet Baker par un toucher constamment inventif, les traits pianistiques évoquant quelquefois les attaques rythmiques mordantes de Franco d’Andrea. Jean-Louis Rassinfosse n’est pas en reste, chaque intervention soliste de sa part se dévoilant avec une élégance exaltante, le tout servi par un superbe son de contrebasse boisé.
Et soudain surgit le chant diaphane de Chet, irradiant la musique avec majesté, son intériorisation dévoile alors son être émotionnel et fragile. Ce double album exhumé par Zev Feldman et Frank Jochemsen est d’ores et déjà inscrit dans l’intemporalité.

Allan Botschinsky fut le trompettiste phare de la scène danoise, disparu en 2020. Si sa discrétion ne lui a jamais permis d’être reconnu à sa juste valeur, cet enregistrement public enregistré en 1996 au Tivoli Gardens de Copenhague permet de le découvrir à la tête d’un quintet soudé et démontre son attachement au bebop et à la recherche continuelle d’une sonorité limpide. La formation joue avec ferveur et déjoue des grilles harmoniques complexes. Chaque intervention soliste sublime des cadences harmoniques astucieuses. Le guitariste Jacob Fischer se révèle le partenaire idéal du trompettiste, tant par son soutien rythmique que par ses interventions solistes où se manifestent les parfums de Tal Farlow et de Doug Raney. Le jazz véhiculé tout au long de cette prestation en public s’offre alors avec une frugalité qui atteste de l’amour dévolu aux standards par Allan Botschinsky.

Changement d’époque avec la sortie de Brigà du trompettiste italien Flavio Boltro. C’est un parcours ethnologique qui est engendré par une formation qui nous plonge dans l’inconnu avec une grande habileté. Les effluves du bebop y sont présents mais de manière sous-jacente, la texture du quintet visant une fusion sonore avec les airs traditionnels d’outre-Alpes chantés avec conviction par Jérôme Casalonga et les boucles électroniques du DJ Malik Berki qui scratche avec une grande habileté. Le quintet adopte une esthétique pittoresque et c’est une succession de climats inusités qui s’impose. Le trompettiste piémontais brouille les cartes, proposant un renouvellement mélodique qui lui permet d’imprimer des interventions lyriques. Le traitement sonore de la trompette élargit le spectre de la musique et permet d’amplifier les improvisations. La diversité des rencontres artistiques qui ont peuplé l’univers du sexagénaire Flavio Boltro s’inscrit pleinement dans ce disque aventureux, nous rappelant qu’il fut un étudiant surdoué de la trompette classique au Conservatoire de Turin, mais qu’il associa très vite son nom aux légendes du bebop (Cedar Walton notamment). Les frontières n’ont pas cours dans Brigà, la globalité du monde actuel s’exprime avec force tout au long de cet album remarquable où la trompette est une fois de plus sublimée.