Chronique

Guillaume Kosmicki

Musiques Savantes

De John Zorn jusqu’à la fin du monde

Terminus, veuillez descendre dans le calme, voici la fin du monde…. Et il reste encore pas mal de chemin à parcourir ! Si le sous-titre du troisième et dernier volume de Musiques savantes, la somme du musicologue Guillaume Kosmicki, est De John Zorn à la Fin du Monde et après… , il n’y a là ni pessimisme, ni résignation : le précédent volume s’arrêtait à la chute du Mur. Celui d’avant à l’aube de l’ère atomique, alors que pourrait-il se passer d’autre qu’un renouveau ? C’est ce qui traverse ce livre, de Charlemagne Palestine à Heiner Goebels ; les trajectoires se croisent et annoncent de nouvelles approches, de nouvelles techniques (l’informatique prend une importance décisive) et in fine de nouvelles grammaires. Tout est décrit avec précision et didactisme, comme on nous attraperait la main dans un paysage de plus en plus complexe, les Trois Sœurs de Péter Eótvós font cohabiter références monteverdiennes et dispositifs sonores de hauts-parleurs, et Georges Aperghis annonce Un avis de tempête où l’électronique joue le rôle des bourrasques.

Et le jazz dans tout ça ?
Il est présent depuis le premier volume, il prenait son essor dans le second, et le voici en force, avec John Zorn ou Anthony Braxton

Mais comme les autres références abordées, il se mutine, se questionne sur sa propre identité, s’installe en incontournable (nombreux sont les compositeurs qui ont approché le jazz ou l’aiment, comme Samuel Sighicelli ou Pascal Dusapin). Il en va de même pour le rock, ou l’électronique que Björk et Aphex Twin incarnent presque naturellement. Des références que nombre de musiciens de Jazz partagent également et qui influencent durablement ceux qui cherchent, se questionnent et se remettent en cause. La période le commande : désinvestissement des mécènes institutionnels, éclatement des formes à l’instar d’un Emmanuel Nunes qui interroge l’électronique dés le début des années 70 et se passionne pour l’improvisation, et globalisation qui fait apparaître dans le livre d’autres pôles que la musique écrites occidentales, vers l’Orient notamment.

Il n’est pas toujours aisé de tirer des bilans historiques d’une période en cours, c’est pour cela que la fin du recueil se transforme en une interview polyphonique d’acteurs contemporains, à commencer par Joëlle Léandre. La richesse de Kosmicki est d’avoir su justement tracer des lignes directrices et des transversales communes à certaines lames de fond qui irriguent la musique créative de cet entre-deux-siècles et dont les noms et les sigles ne sont plus totalement étrangers aux amateurs de jazz et de musiques improvisées. Techniques étendues, IRCAM ou encore compositions instantanées ou aléatoires.
En débutant son livre par le déroulement très pertinent d’une frise temporelle d’événements marquants, politiques et sociétaux qui induisent la période actuelle, Guillaume Kosmicki met fin à une trilogie indispensable. Elle mêle explications pédagogiques et documentation pointue qui éclairera une période où la musique savante semble disparaitre au profit du clinquant et du médiocre, comme le spectre audio déclinant sur la couverture pourrait le laisser songer. Il n’en est rien. Il suffit juste d’allumer la lumière.
Ce troisième tome est un fameux interrupteur.