Chronique

Papanosh

A Chicken in a Bottle

Raphaël Quenehen (ts, as, ss), Quentin Ghomari (tp, slide-tp), Sébastien Pallis (cla), Thibault Cellier (b), Jérémie Piazza (dms)

Label / Distribution : Enja Records

Les états d’âme de la production sont cruels… Ainsi c’est maintenant, tardivement, que paraît chez ENJA le troisième album de Papanosh. Voici donc l’après ¡Oh Yeah Ho !, ce spectacle construit autour de Mingus avec Roy Nathanson qui a fait basculer le quintet des Vibrants Défricheurs dans une autre dimension. Cela aurait du être l’événement des dix ans du groupe, comme nous le commentions à l’occasion de cet anniversaire. Ce sera une parution à l’orée de la onzième, alors que l’orchestre est en préparation de nouvelles aventures new-yorkaises en compagnie d’autres figures tutélaires, même si l’indéfectible Roy reste là en éclaireur.

A Chicken in a Bottle est-il dès lors une oeuvre de transition ? On pourrait le penser : « Monsieur Shadows » s’entame sur un dialogue serein entre le saxophone de Raphaël Quenehen et la contrebasse de Thibault Cellier ; une déambulation élégante dans les rues ventées de New-York en hommage à Nathanson. Mais l’on comprend vite que ce n’est pas univoque. Chaque composition nourrit un kaléidoscope d’ambiances urbaines et de réminiscences d’instants et de couleurs. Un livre de bord.

Le temps est à l’appropriation d’un nouvel environnement. La dédicace à Mingus, célébrée unanimement, s’offrait deux invités. Papanosh avait besoin de retrouver son noyau dur pour faire évoluer ce jeu simple sec et souple qu’ils ont adopté à force de concerts et d’expériences communes. Il s’impose naturellement dans « Plain Gold Ring », rendu célèbre par Nina Simone, avec une once de mélancolie qui ouvre des perspectives tierces, confirmées par la ballade « Pour André ». Le piano de Sébastien Pallis, mat et léger, souligne la finesse du batteur Jérémie Piazza qui en simplifiant son jeu illumine le chemin pour ses compagnons qui avancent groupés dans ses brisures ; jamais l’orchestre n’est aussi efficace que lorsqu’il joue soudé. Notamment quand Quentin Ghomari, brillant compositeur de la plupart des titres, vient mêler ses embouchures aux anches de Quenehen. « Bierbeek », morceau emblématique, en est l’exemple idoine : habile et hâbleur, mais avant tout diablement gracieux. Collectif mais qui ne rechigne pas à quelques entrechats solistes de l’archet sur une contrebasse impeccable. Il retraduit à merveille l’énergie qui montait de la scène pendant cette année passée dans la tournée Jazz Migration, ce frémissement européen soudain.

Non, A Chicken in a Bottle n’est définitivement pas un album de transition : il avance sans se retourner. Les rares clins d’œil dans le rétro sont antérieurs, et reviennent aux premières amours de Papanosh, celles qu’on percevait encore dans ¡Oh Yeah Ho !, mais qui avaient glissé au second plan. Ce ne sont pas ces latitudes imaginaires qui germent encore dans certains arrangements (« Hermanos »). Plutôt une ombre transatlantique : Ornette Coleman est une passion qui se consume à petit feu et vers laquelle on s’en retourne toujours… On croit bien l’entrevoir dans la cadence bravache de « 160 BPM », lorsque trompette et alto veulent se prendre à la course, arbitré par un klaxon venu de nulle part. Papanosh concocte avec toutes ces essences une série de portraits instantanés qui échappent aux clichés. On feuillette avec beaucoup d’attention ce carnet de route(s), sans se demander ce que peut bien tramer un poulet dans une bouteille. S’il se plaît là-dedans autant que nous en écoutant ce disque, c’est son affaire.