Chronique

Marcel et Solange invitent Samuel Blaser

Tomate et Parapluie

Gabriel Lemaire (ts, ss, as, cl), Valentin Ceccaldi (cello, horizoncelle), Samuel Blaser (tb), Florian Satche (dms, perc)

Label / Distribution : Tricollection

Seule la poésie lunaire des membres du Tricollectif pouvait amener un couple à trois têtes au triolisme de quartet. Telle est l’aventure qui se déroule sous nos yeux et qui met du piquant dans la vie de Marcel et Solange, lesquels parlent ici à trois voix : Marcel, Solange, et désormais Samuel. Le tromboniste suisse Samuel Blaser rejoint en effet le trio d’Orléans pour un bout de chemin, avec liberté pour mot d’ordre. La relation est librement consentie, et expose même des connexions nouvelles. La comédie que joue cette petite troupe a pour nom Tomate et parapluie. Elle n’a rien du vaudeville. Pas plus d’amant dans le placard que de solanacée ni de pépin sur la pochette. Après « Césarine » ou « Ernestine », croisées sur leur premier disque, Marcel et Solange font à défiler nouveau bon nombre personnages hauts en couleur dans des paysages qui n’appartiennent qu’à eux.

Voici par exemple « Marceline » qui chaloupe dans les pas légers du trombone, pendant que le batteur Florian Satche allume les lumignons d’un bal isolé. Il y a dans la grâce de la danseuse quelque chose de la nonchalance de la Campagnie des Musiques à Ouïr. Cette impression perdure dans le luxe de détails de « Méandre », lorsque la rythmique sèche du violoncelle de Valentin Ceccaldi laisse transparaître en filigrane le retour d’une flamme titubante dans le trombone de Blaser. Ce dernier s’échappe de trames très denses où les timbres se confondent. Partout les voix cherchent l’unicité, même dans le chaos très orchestré de « Paquebot », clin d’œil appuyé à Marc Ducret, membre par ailleurs du quartet du Suisse. « Ma douce amie », au centre de l’album, démontre la même faculté de créer une musique pleine de relief à partir d’un son brut. Ainsi l’inimitable souffle chargé de scories qui émerge du saxophone de Gabriel Lemaire s’agrège au ronflement électrique de l’horizoncelle (violoncelle électrique monté comme une basse conçu pour Valentin Ceccaldi) pour créer du mouvement, un frottement d’où jaillit l’étincelle. Celle-ci ne tarde pas à allumer de grands feux qui montent en puissance, dans le growl du trombone ou la frappe de la batterie. Lorsque la tension explose, ici ou sur le réjouissant « Borsch », on assiste à une sorte d’implosion du collectif, qui converge vers un point nodal pour mieux se fragmenter et s’agglutiner de nouveau, à la manière d’un jeu de patience.

Si Samuel Blaser s’intègre avec autant de facilité dans le petit théâtre de guingois de Marcel et de Solange, ce n’est pas seulement parce que tous s’inscrivent avec enthousiasme dans une syncrétisme qui regarde autant vers la musique ancienne que vers la raucité des watts. Le quartet utilise avec précision les climats étales et les accélérations soudaines pour mieux étayer un sens inouï de la narration, tout comme Blaser dans ses propres productions. Avec lui, le climat évolue sans changer totalement ; c’est une régénération plus qu’une métamorphose. Tour à tour chien dans un jeu de quilles sur l’inaugural « Pépé » ou rassembleur intimiste aux franges du silence (« Petite biche »), il n’a jamais besoin de réclamer sa place. Elle se fait naturellement, comme un puzzle dont les pièces s’amalgameraient à mesure qu’il se construit…

Tout s’harmonise absolument dans cette rencontre. Le premier album de Marcel et Solange était marqué par l’enthousiasme des découvertes. Tomate et parapluie est fait de la jubilation des confirmations. Voici un disque qui offre des surprises à chaque nouvelle écoute ; le privilège rare des réussites.