Scènes

Magnetic Ensemble à l’Atelier du Plateau

Et l’Atelier du Plateau de se transformer en boîte de nuit…


Le dernier concert de la saison à l’Atelier du Plateau, qui a eu lieu le 16 juin 2012, était aussi le dernier de la résidence du batteur Antonin Leymarie, qui profite de la liberté et de la confiance données par le lieu pour explorer des terrains nouveaux, totalement en décalage avec l’attente que l’on pourrait avoir de la part de musiciens venant du jazz. Alors que le premier des trois concerts développait un rock planant et imagé, le dernier se proposait de briser la digue scène/salle grâce à de la transe minimale. Et l’Atelier du Plateau de se transformer en boîte de nuit.

Au départ, tout est normal. La salle est bondée, les instruments au centre : un piano, une batterie, un vibraphone et deux sets de percussions face à face, un clavier et une table avec micro. Drôle d’instrumentation tout de même. Antonin Leymarie (Impérial Quartet, Surnatural Orchestra) a invité, respectivement : Fabrizio Rat (Jukebox), Benjamin Flament (Radiation 10, Alphabet), Sylvain Lemêtre (Surnatural Orchestra, La Soustraction des Fleurs), Arnaud Roulin (Supersonic, Poni Hoax), Thomas de Pourquery (Supersonic, DPZ) et la chanteuse Jeanne Added (Linnake, Yes Is A Pleasant Country) sur quelques morceaux. C’est bientôt l’été, personne n’est pressé et la musique s’élève doucement au-dessus du brouhaha alors que l’on n’est pas encore installé. Vite vite, une place, un siège, un bout de tabouret, de béton ou d’escalier. Les retardataires ne savent pas où se mettre, c’est trop serré. Et le silence se fait.

Chacun des musiciens, à sa manière, dévie des chemins tracés et réinvente la musique improvisée en la mâtinant de rock, d’électro, de chanson, et de toute sortes de choses telles que des chorégraphies, des chœurs ou moult détournements instrumentaux qui façonnent le jazz d’aujourd’hui. Grâce à son hybridité, un certain militantisme et une bonne dose d’autodérision, cette musique semble élastique. Même si le programme nous prévenait : dans une certaine mesure, l’improvisation à laquelle le lieu nous a habitués n’était ce soir pas de mise, la surprise attentive des spectateurs soutient les premières notes du concert. Nuage magnétique, voix lointaine… les percussions arrivent. Petit à petit, les musiciens construisent une lente transe minimale en empilant par paliers les rythmes et les nappes au synthé. Thomas de Pourquery chante en suivant la musique, ou bien dit des poèmes de Philippe Muray. Son souffle traverse l’aspect répétitif de la musique tout autant que celui-ci le soutient, et donne de la profondeur à l’ensemble. Les mots semblent venir de très loin ; on ne perçoit pas toujours leur signification mais peu importe, ils sont imbriqués à la matière sonore. Celle-ci ne dévie pas de son cours, continuant à tisser et/ou défaire les couches rythmiques comme un seul homme. Dans la salle, personne n’a bougé, tous sont hypnotisés.

Soudain, Thomas lève la voix : « Jeanne ? » — Oui ! ». Jeanne Added sort du public en dansant, magnétique, et leur duo de chant fait sérieusement onduler les têtes et les pieds. C’est bientôt la pause : « Quand on revient, il n’y a plus de chaises. » Enfin !

L’électro minimale qu’Antonin Leymarie a composée, si elle change de tempo selon les morceaux, garde la même couleur tout au long du concert. Faire se lever les gens, voilà le pari — absolument réussi. Cependant, il n’était pas inintéressant d’être plus ou moins forcé (à cause de l’affluence) d’écouter cette musique assis pendant la première partie : ou comment une musique qui habituellement n’est destinée qu’à faire bouger les corps peut être entendue, immobile, comme un objet à part entière. On y retrouve certains aspects de Cercles/Fictions : matière compacte mais ouverte, chant parlé, progressions rythmiques qui tendent vers une acmé, mais c’est comme si cette bande-là, la nouvelle, en était l’aboutissement. Davantage construite, elle nous mène par le bout du nez collectivement ; on n’est plus seul dans sa tête, on est plusieurs dans son corps. La musique s’est détachée de l’imaginaire visuel pour entrer dans l’imaginaire organique. Ça parle aux pieds, aux jambes, au ventre : et les chaises disparaissent.