Chronique

Hervé Sellin

Passerelles

Hervé Sellin (p), Fanny Azzuro (p), Rémi Fox (ts, ss), Emmanuel Forster (b), Kevin Lucchetti (dms).

Label / Distribution : Cristal Records

Concomitamment à Always Too Soon, disque hommage à Phil Woods, Hervé Sellin a proposé à l’automne dernier avec Passerelles un second travail, de reconstruction cette fois. Épaulé par quatre jeunes musiciens issus de la classe de jazz du Conservatoire de Paris, on retrouve en effet le pianiste en pleine exploration d’un répertoire allant de Schumann à Dutilleux en passant par Satie et Debussy. Rien de plus normal pour celui dont la formation classique n’a jamais été un obstacle à une confrontation avec d’autres univers musicaux, au premier rang desquels le jazz sous toutes ses formes. C’’est d’ailleurs avec les « Scènes d’enfants » de Schumann, pour lequel il s’adjoint les services d’un deuxième piano, celui de Fanny Azzuro, qu’Hervé Sellin se plaît à multiplier les angles et semer les petits cailloux de quelques-unes de ses influences. Ce que rappelle avec beaucoup de justesse Arnaud Merlin dans les notes qui accompagnent le disque : Bill Evans, Wayne Shorter, Herbie Hancock par exemple. Quant à Erik Satie et Henri Dutilleux, on sait qu’ils reconnurent chacun l’importance du jazz dans leur propre travail. Debussy, de son côté, fait partie des compositeurs les plus prisés des musiciens de jazz. Tout cela a finalement des allures d’évidence.

Mais de même qu’Always Too Soon était tout sauf une commémoration, ce que rappelait avec à-propos Raphaël Benoit dans sa chronique pour Citizen Jazz, Passerelles est aux antipodes de l’exercice laborieux qui consisterait en une transposition d’un langage vers un autre. L’expérience d’Hervé Sellin constitue sa meilleure alliée dans l’élaboration d’une musique qui jamais n’aboutit à une relecture convenue. Car c’est bien ici d’une recomposition qu’il s’agit, magnifiquement servie par une jeune garde en ébullition, au premier rang de laquelle s’illustre Rémi Fox. On connaît la créativité de ce saxophoniste, en particulier à travers l’expérience nOx.3. Il est ici comme un poisson dans l’eau, virevoltant aussi bien au soprano qu’au ténor et c’est un immense plaisir de le voir - et de l’écouter surtout - s’emparer par exemple de la « Sonate » de Dutilleux pour en faire un espace d’expérimentation. Un grand jeu, dans tous les sens du mot. Sa complicité avec le pianiste est étonnante, comme si tous deux se connaissaient depuis de longues années.

Puisse Hervé Sellin ne pas nous tenir rigueur de cette remarque, mais l’écoute répétée de Passerelles finit par faire oublier son propos initial, tant l’opération de fusion est ici un succès. Et c’est bien la démarche caractéristique du musicien de jazz qui est en action : s’emparer de thèmes venus d’ailleurs (et pas forcément de très loin) pour appliquer à la mélodie d’autres couleurs, d’autres rythmes et, pourquoi pas, parvenir à leur mutation en possibles standards. À ce petit jeu, Hervé Sellin est passé maître, qu’on se le dise !