Chronique

Interzone

Quatrième Jour : Kan Ya Ma Kan

Serge Teyssot-Gay (g), Khaled Aljaramani (oud, voc)

Label / Distribution : Intervalle triton

Suivez une ligne droite. Comme une corde ; vous tomberez bien à un moment sur Serge Teyssot-Gay. Après Joëlle Léandre et Mike Ladd, après Gaspar Claus et Etienne Bultingaire, revoici Interzone, peut-être le projet émancipateur du guitariste. C’est le quatrième jour avec le grand oudiste et chanteur Khaled Aljaramani. Dans la Genèse, c’est le jour de la création de la Lune et des étoiles ; va pour la lumière alors, elle est pleinement chargée dans le beau « Tapis Volant » qui fait parler le langage rock de Teyssot-Gay dans une formidable tour de Babel. La rencontre entre ces musiciens a beau être fort ancienne, elle ne se trouve pas tarie, et s’émerveille toujours de la rencontre et de la nouveauté.

C’est ainsi que s’aborde l’« Ivresse », tendre et rêveuse, pleine de larmes aussi. « Puisque tu ignores ce que te réserve demain, efforce-toi d’être heureux aujourd’hui. Prends une urne de vin, va t’asseoir au clair de lune, et bois, en te disant que la lune te cherchera peut-être vainement, demain » écrivait Omar Khayyâm dans ses Rubaiyat. On ne peut qu’y songer dans cette poésie douce-amère qui provient d’un autre grand poète, adepte du soufisme, Ibn Al Faridh : « Ce vin avait une âme mais n’avait pas de chair ». Née avant la révolution syrienne, la rencontre entre Teyssot-Gay et Aljaramani rythme en quelque sorte l’âme de la région. Après avoir attendu le printemps, tendu vers l’espoir et le combat, le réveil est dur mais n’empêche pas de se lever : « Ils sont blessés ou désespérés, ou ils ont disparu » chante Aljaramani sur « Kan Ya Ma Kan » qui donne son titre à un album plein de recueillement qui n’abandonne cependant pas la lumière.

La fidélité qui anime le duo est remarquable, ainsi que leur confiance mutuelle. Chacun conserve une partie de son terrain de jeu, mais le principe est d’aller quérir chez l’autre des idées et des pratiques nouvelles. Nombreux sont ceux qui, au bout de quatre rencontres, auraient tari leur joie de la découverte, se seraient rassurés dans une sorte de jolie routine confortable. Interzone n’est pas de ceux-là. Aljaramani comme Teyssot-Gay pensent qu’il y a toujours des routes nouvelles à chercher et une amitié à célébrer,aussi forte que lointaine. C’est le sens de « Fête d’adieu », brillante et chaleureuse. Pourvu simplement que ce titre ne soit pas prémonitoire : le cinquième jour, dans la légende, c’est pour les oiseaux du ciel. Dieu sait qu’on en a besoin pour la tempête qui s’annonce .