Scènes

Intranquillité, au Mandala

Un concert d’un des plus beaux duos de l’année, ça ne se manque pas. C’est ce que le festival « Jazz sur son 31 » nous offrait dans le cadre du Mandala, l’institution jazz toulousaine.


Un concert d’un des plus beaux duos de l’année, surtout quand c’est rare, ça ne se manque pas. C’est ce que le festival « Jazz sur son 31 » nous offrait dans le cadre du Mandala, l’institution jazz toulousaine.

A Citizen Jazz, ça va finir par se savoir, nous avons adoré Intranquillité, l’album publié cette année par Marc Sarrazy et Laurent Rochelle. Au point d’être surpris de les voir si rarement sur scène. « Jazz sur son 31 » les avait judicieusement programmés dans le cadre des concerts club au Mandala.

Entre l’album et le live, la différence d’approche est inévitable et nécessaire. L’ambiance diaphane du disque aurait sans doute paru très décalée dans un contexte de club, avec un piano droit et le public presque sur les genoux des musiciens ; ceux-ci ont évité le piège sans pour autant se trahir. Sur scène, les interactions - entre eux, avec le public - révèlent plus précisément les traits de chacun : Sarrazy développe le côté romantique, tempétueux et un humour élégant et caustique ; Rochelle cultive toujours autant le minimalisme, mais avec des apports free toujours plus présents et une distanciation du meilleur aloi. « Syndrome de la mouche » est encore plus angoissé/angoissant que sur l’album ; le superbe « Cyclotimic Girl » s’enrichit d’orages soudains, de roucoulements et de brusques accès de colère. Les improvisations se développent plus librement ; les morceaux s’articulent par fondus-enchaînés : ainsi « Palais des larmes » et « Chant d’insomnie » à la fin du concert.

Le répertoire mêle les titres de l’album et de nouvelles compositions qui semblent promettre un futur enregistrement… guettons. Les racines plongent autant dans la musique européenne « savante » (Bartok, bien sûr) que dans les traditions populaires. Témoin un « Nelson Mandala Blues » (oui, Mandala avec un « a » pour l’occasion) qui allie blues et gammes par tons. Mais les références ne sont pas exclusivement musicales : « Salto Mortale opus 11 » apparaît comme une musique idéale pour un film expressionniste allemand des années 20 dont il emprunte en partie les techniques narratives : effets de coupure, perspectives audacieuses, suspense, éclairages violents et contrastes accentués. Juste avant, une valse nerveuse intitulée « Trois petites absinthes dans la bouche » se délectait à instiller le malaise. Tout en riant, du coin des lèvres.

La référence cinématographique est d’ailleurs explicitée par un rappel inattendu : la musique de Suspiria, un film d’horreur de Dario Argento (1977) où l’on se souvient d’un pianiste aveugle… discours subliminal, peut-être. En tout cas, nouvelle clef de lecture pour les compositions du duo, dont le titre « K » était dédié, en début de concert, à Joachim Kühn certes, mais aussi à… Kafka et à Krzysztof Komeda, compositeur de la musique de Rosemary’s Baby. Et peut-être, l’amorce de nouveaux développements pour les relations passionnées entre jazz et cinéma.