Chronique

Itamar Borochov

Boomerang

Itamar Borochov (tp), Michael King (p), Avri Borochov (b, oud), Jay Sawyer (dm)

Label / Distribution : Laborie Jazz

Nom de dieu ! Si Itamar Borochov croit avoir trouvé le divin, il faut avouer que le culte qu’il rend au jazz est diablement efficace. On conçoit que, dans sa fréquentation des sociétés séfarades, qu’elles soient maghrébines ou proche-orientales, le trompettiste ait développé un sens aigu de ce qui relie les religions du Livre.

Ainsi sur « Tangerine », le thème d’ouverture, l’auditeur se trouve plongé dans l’univers doux-amer des étals fruités des marchés méditerranéens, avec pour seuls compagnons - et quels compagnons - la trompette du leader, toute en notes allongées, tirant vers le suraigu ensuite, et un ostinato de piano – excellent Michaël King, qui par ailleurs ose des accents stride sur des pulsations impaires, balance des voicings et des block-chords en veux-tu-en-voilà. Et quand rentre la rythmique, si tant est que l’on puisse parler uniquement de section rythmique pour la contrebasse (Avri Borochov, le frère de…) et la batterie (Jay Sawyer), on s’incline volontiers devant dieu (Le Jazz).
Voyageons par exemple sur « Jaffa’s Tune » : une trompette apaisante avance comme un hymne à la paix (beau symbole pour une cité mythifiée comme un pont entre Orient et Occident…), pendant qu’une batterie d’abord apaisante comme un mouvement de prière soutient la pédale (un motif rythmique lancinant) du piano qui se lance dans un solo trempé dans le blues, pour retomber dans une coda construite sur une ritournelle orientale avant le retour au thème. Du grand art.

Tout l’album est à l’avenant, naviguant entre tentations orientales et tropisme new-yorkais. Cela pourrait bien entendu faire songer à l’œuvre trop méconnue d’un Ahmed Abdul-Malik, ce contrebassiste/oudiste qui joua un temps avec Monk et fut l’un des premiers, sinon le premier, à oser les sons « orientaux » dans la Grosse Pomme. Le bassiste ici présent, qui taquine le oud également le temps de deux morceaux, développe un son hénaurme à la grand-mère à l’instar du précédent. Mais là où Abdul-Malik développait un propos « classiquement » arabo-andalou, Itamar Borochov et ses compères s’aventurent dans les limbes des musiques de transe, puisant notamment dans les rythmiques délicieusement folles des musiques gnaouas, ces hymnes émancipateurs des descendants d’esclaves d’Afrique du Nord, révélant dans un prodigieux swing impair leur tragique commun destin avec les origines du jazz (« Ça va bien », titre en français en guise de pied de nez à l’ancien colonisateur ? à la créolisation de l’idiome de ce dernier ?). Car du jazz, il y en a à foison évidemment, à l’instar de ce « Jones Street » parfaitement brownien, au sens du mouvement physique du même nom, et au sens de l’excellence mélodique du trompettiste leader, digne souffleur qui marche sur les épaules du géant du bebop Clifford Brown.

Parfait dans l’art du contrepoint, notamment avec le piano, Monsieur Borochov s’affirme ici comme un nouveau maître de la trompette, jouant des valeurs longues et courtes, soufflant le chaud et le froid – il est toujours là où on ne l’attend pas ! -, donnant des couleurs inédites à l’instrument (notamment par un somptueux vibrato) tout en restant incroyablement naturel. Gageons que l’on va prier le jazz avec lui pendant longtemps !