Chronique

Jacky Molard Quartet

Mycelium

Jacky Molard (vln), Janick Martin (acc), Yannick Jory (as), Hélène Labarrière (b) + invités

Label / Distribution : Innacor

Le mycélium, dans l’imaginaire du violoniste Jacky Molard, c’est le lien invisible qui lie les vivants entre eux. Ce n’est pas seulement ce filament qui pour faire naître des champignons se nourrit du substrat en le transformant ; c’est une métaphore de l’altérité, du geste vers l’autre, d’une forme d’universalité sans dogme qui apprend en transmettant. On le sait, le Breton et son quartet acoustique qui réunit des fidèles tel l’accordéoniste Janick Martin ou le saxophoniste Yannick Jory n’a jamais eu peur de s’aventurer par-delà les berges de Clisson ; on se souvient notamment de N’Diale qui allait à la rencontre de la musique mandingue. Mycelium est d’un autre ordre, davantage tourné vers le plaisir de l’improvisation et la joie des moments piochées dans l’intimité des musiciens. Ainsi après « Bolom » qui s’ouvre sur la solide contrebasse d’Hélène Labarrière et démontre un sens fort aigu de la dynamique collective, on découvre de nombreux invités qui nourrissent l’orchestre. Le flûtiste Jean-Michel Veillon en tête, remarquable liant d’un jeu de timbres très sophistiqué.

Pour reprendre la métaphore, on a le sentiment que les invités sont ce fameux substrat sur lequel les spores prolifèrent, pour donner d’autres formes de vie. Elles ont de multiples avatars. Lorsqu’on s’étourdit au son d’embryons de tourneries bretonnes, jouées avec une réjouissante jubilation par un violoniste bondissant (« An Nouveau », après que Jory et François Corneloup aient structuré le morceau par un corps à corps de soufflants), elles mutent immédiatement en direction d’autres eldorados et se déplacent vers l’Est. Une forme de mélancolie étincelante apparaît alors, portée par l’électricité souterraine de Serge Teyssot-Gay et les textes doux-amers d’Albert Marcœur, d’inspiration assez noire pour ses deux interventions. « Triangle » commence ainsi sur une mélodie légère, bien appuyée par une base rythmique où Labarrière fait équipe avec Christophe Marguet et son vieux compère Corneloup. Puis lorsque Marcœur s’emballe, c’est toute la musique qui le poursuit et termine dans un tourbillon où la guitare de Teyssot-Gay s’enflamme subitement.

En grand spécialiste du son, Jacky Molard joue avec la pâte orchestrale comme on compose avec une riche palette. Le travail mené sur ce disque publié par son label Innacor offre d’ailleurs une vraie profondeur et beaucoup de dynamique à ce qui doit parfois s’apparenter à un orchestre en grand format. La plupart des musiciens, invités ou non, viennent d’horizons différents, n’ont pas d’attache particulière avec une Bretagne plus suggérée que revendiquée, mais l’alchimie fonctionne à l’instant même où il y a dialogue, à l’instar de ce joli frôlement entre contrebasse et guitare sur « Adjihina » ; léger et impalpable, et pourtant empli d’une pulsion de vie et de mouvement incontrôlable qui s’étend avec malice dans « Mycelium » et trouve son point d’orgue dans l’excellent « Précaution d’usage » où Marcœur joue de son goût pour les mots dérisoires qu’il mute en poésie grinçante. La vie ne tient qu’à un fil. Jacky Molard et ses amis en sont de magnifiques funambules.

par Franpi Barriaux // Publié le 1er avril 2018
P.-S. :

Invités : Jean-Michel Veillon (fl), François Corneloup (ts, bs), Serge Teyssot-Gay (g), Albert Marcœur (voc, perc), Christophe Marguet (dms)