Matteo Bortone
No Land’s
Matteo Bortone (b), Antonin-Tri Hoang (cl, bcl), Ariel Tessier (dms), Francesco Diodati (g), Lestra (p), Julien Pontvianne (ts, cl)
Label / Distribution : Auand
Repéré avec son quartet Travelers, mais aussi dans l’orchestre Oxyd d’Alexandre Herer, Matteo Bortone est l’un des plus jeunes représentants de ces musiciens de jazz italiens qui se plaisent bien en France. Le contrebassiste, depuis plusieurs années, se fait remarquer par son écriture très personnelle, acquise à la simplicité, et qui fait la part belle à des individualités aux univers très forts, comme Antonin-Tri Hoang ou le batteur Ariel Tessier. Avec No Land’s, Bortone propose sans doute son disque le plus intime : on retrouve les compagnons de Travelers, avec Francesco Diodati à la guitare, auxquels s’ajoutent deux nouvelles lames très joueuses, avec le multianchiste Julien Pontvianne et le Fender très alcalin de Yannick Lestra, que l’on avait eu plaisir à entendre dans Pan-G. De quoi coller aux envies de Bortone, où l’électricité exubérante et la douceur diaphane de « Screens » se mélangent goulûment.
C’est peut être la définition de No Land’s : un endroit sans réelle appartenance géographique, où chaque son a son importance, où un jazz teinté de rock peut faire chauffer un grain lorsque Diodati fait parler les watts en compagnie de Lestra sur le cogneur « Future/Past » tout hérissé d’électronique, et se transformer en fine pluie d’été sur « Dumps » qui va chercher ses racines assez loin, dans tout un brouet d’influences et de souvenirs, juste de quoi affoler les boussoles. La grande prouesse de Bortone, c’est de parvenir à rester cohérent. Il le doit à une certaine immédiateté, mais aussi à un grand détachement. Jamais le sextet n’appuie trop fort dans une direction, jamais il ne tape sur l’épaule de l’auditeur pour lui imposer une étiquette qui de toute façon n’est plus nécessairement de mise pour le morceau suivant. On flotte, dans une incertitude qui tient d’une alchimie fragile et subtilement imparfaite, comme l’est la véracité d’un souvenir.
La terre que Matteo Bortone nous propose de fouler est clairement un marécage de souvenirs et de sensations ; on s’y enfonce parfois jusqu’à la garde, dans ce « Spectral Fairytale » qui commence comme une petite musique légère. Mais les souffles de Hoang et Pontvianne sont vite jetés dans une ombre passagère mais profonde lorsque la basse très rock vient donner à l’ensemble une nouvelle dynamique, jusqu’à apporter un chaos durable. On pense parfois à Rocking Chair, notamment dans l’usage de l’électricité. No Land’s est de ces disques qui nous promènent dans un univers très fort en nous forçant à puiser dans notre propre imaginaire. Une plaisante expérience.