Chronique

Jacques Schwarz-Bart

The Art Of Dreaming

Jacques Schwarz-Bart (ts), Baptiste Trotignon (p), Thomas Bramerie (b), Hans Van Oosterhout (dms)

Label / Distribution : Naive

Coup de cœur ! Il y a chez Jacques Schwarz-Bart le souffle d’une évidence radieuse qui pourrait faire douter de la nécessité des mots, certainement insuffisants pour refléter comme elle le mérite la sérénité qui s’en dégage. Le saxophoniste, dont la carrière trace depuis une quinzaine d’années les contours d’une exploration de ses origines guadeloupéennes mêlée à des confrontations avec la scène jazz new-yorkaise, et en particulier son courant nu soul – lui-même laboratoire aux confins du jazz, de la soul et du hip hop – parvient aujourd’hui à une étape essentielle de sa vie d’artiste : une maturité épanouie et l’accès naturel à un chant nourri de l’esprit de ses maîtres en musique (avec en mémoire ce que son père lui disait : « Écrire, c’est réécrire ») et de la volonté de traduire, au plus près de l’émotion, la spontanéité de son expression. Belle affirmation pour un musicien venu sur le tard à l’instrument. Pas de doute, le temps perdu a bien été retrouvé.

Avec The Art Of Dreaming, l’artiste se présente en effet dans la formule la plus classique du jazz – le quartet acoustique saxophone, piano, contrebasse et batterie – après avoir proposé différents voyages intimement liés à la fois à ses origines et à ses expériences. Depuis quelques années, Jacques Schwarz-Bart a fait la démonstration de la richesse de ses inspirations. Après Soné Ka La en 2006, tentative réussie de fusion entre le jazz et ses racines, puis Abyss en 2008, en hommage à son père, et Rise Above (2010) dont le fort dosage en funk et soul était chanté par sa femme Stéphanie McKay, The Art Of Dreaming est à prendre soit comme une respiration salutaire, soit comme un nouveau point de départ. Le voyageur Schwarz-Bart – temporairement, peut-être – suggère qu’il a décidé de poser ses bagages et de dire en toute humilité son amour de la mélodie transporté par un groove revigorant. Avant d’aller voir vers un nouvel ailleurs ?

Entouré de musiciens rompus aux exigences d’une telle célébration, Schwarz-Bart est ici au cœur d’une musique qu’il est difficile de situer : tirant sa force de son caractère volontairement intemporel, elle est tour à tour joyeuse et pourvoyeuse d’instants de bien-être communicatif (comment résister à « Blues Jonjon » ou « Peyotl » par exemple ?), nostalgique par ses ballades aux mélodies soyeuses (« Moods », « Lullaby From Atlantis »), mais peut aussi accéder à une spiritualité que ne renierait pas un John Coltrane, celui de « Welcome » en particulier, ou un Charles Lloyd (« It’s Pain »). On peut se risquer à parler de jazz classique au sens le plus noble du terme.

Au service de cette musique inspirée, le jeu de Jacques Schwarz-Bart rayonne, alternant éclats de lumière et envolées plus rageuses ; Baptiste Trotignon, par sa présence stimulante, est tour à tour mélodique et convulsif, comme porté par l’enchantement d’une association qu’on imaginerait volontiers plus ancienne (le duo saxophone piano de « Dlo Pann » est rien moins qu’habité par la grâce). Thomas Bramerie et Hans Van Oosterhout s’épanouissent dans une conversation à quatre qui, à n’en pas douter, a dopé leurs énergies conjuguées. Et permis à leurs rêves d’entrer de plain-pied dans la réalité.

Autant de qualités qui montrent que Jacques Schwarz-Bart a bien atteint l’objectif qu’il se fixait, lui qui, à travers The Art Of Dreaming, s’est efforcé « non pas de se réveiller dans le rêve, mais de rester éveillé et de partager le rêve avec les autres musiciens et les auditeurs ». Un art développé par les sorciers toltèques [1] et que l’anthropologue Carlos Castaneda a exploré dans son livre du même nom, dont la lecture a inspiré le saxophoniste.

The Art Of Dreaming est un disque de voyage intérieur, celui d’un rêve partagé entre quatre musiciens qui ne demandent qu’à nous en ouvrir les portes. Invitation acceptée !

par Denis Desassis // Publié le 21 mai 2012

[1Les Toltèques, ou maîtres-bâtisseurs, étaient un peuple nomade de religion chamanique dont les dieux étaient le ciel, la terre et l’eau. Leurs légendes les définissaient comme étant à l’origine de toute civilisation.