Chronique

Jacques Vidal

Mingus Spirit

Eddie Henderson (tp), Pierrick Pedron (as), Eric Barret (ts), Daniel Zimmermann (tb), Glenn Ferris (tb), Isabelle Carpentier (voc), Frédéric Sylvestre (g), Manuel Rocheman (p), Jacques Vidal (b, comp), Simon Goubert (dm)

Label / Distribution : Nocturne

Dès la première écoute, il se dégage de Mingus Spirit une suave odeur classique, dans le sens noble du terme : voici un album qui a du style. Et ce notamment grâce à la présence d’un Eddie Henderson au souffle comme évident : l’album n’aurait sans doute pas eu la même saveur sans lui. Mingus Spirit semble tout droit sorti d’une autre époque (celle où on pouvait fumer dans les lieux publics), d’où son charme bien particulier. Mais alors, Mingus Spirit est-il nostalgique ? Si c’est le cas, ce n’est pas une Sehnsucht à la Mehldau, mais un hommage plus revigorant que castrateur : au pire l’album pousse à se replonger furieusement dans l’œuvre du contrebassiste (Mingus, Mingus, Mingus par exemple), au mieux Mingus Spirit s’invitera durablement sur nos chaînes hi-fi.

Dès le premier morceau, on se retrouve chez soi dans le blues ou le bop, tel que l’a voulu l’initiateur de ce grand rassemblement, Jacques Vidal ; car si Mingus fut un des maîtres du jazz, il a toujours refusé d’être catégorisé ou de se réduire à un style. De la trompette d’Eddie Henderson, nuancée et poignante, s’évadent de soniques couleurs. Pierrick Pedron confirme qu’il est un des très bons altistes du moment. Simon Goubert est juste et excellent dans son toucher de cymbales de fûts et de baguettes – comme d’habitude (est-il encore besoin de le dire ?). Frédéric Sylvestre propose une guitare qui ne se croit pas tout permis (c’est rare sur un album du XXIè siècle) : la six-cordes se pare d’une sonorité cristalline de bon aloi. Eric Barret, Daniel Zimmermann, Glenn Ferris et Manuel Rocheman complètent de leur présence ce casting de choix.

Si Mingus Spirit était un livre, ce serait un roman bourré de références classiques mais non obscures, ou bien encore un recueil de Michaux. Si Mingus Spirit était un film, ce serait un joyeux film noir ou un Cassavetes, c’est évident. L’esprit de Mingus plane sans jamais se sentir plagié. Vidal a su conserver la forme du « moins qu’un chien » sans en voler la matière. Comme Mingus, il ne se donne pas le beau rôle, seulement quelques solos intenses notamment sur un « Epilogue » habité qu’il partage avec la voix récitante d’Isabelle Carpentier.

À certains moments l’album rappelle la collaboration Carla Bley/Charlie Haden - sur la « Valse du Clown » par exemple, on retrouve la sobriété toute mélodieuse du jeu de contrebasse et surtout des arrangements construits dans la vivacité, classe sans hic. En tout simplicité, la musique prend vie sous les mains de Jacques Vidal : évidente, limpide, elle coule sous les doigts sans jamais dégouliner – la confiture idéale. Les morceaux sont (plutôt) vifs, pas un seul temps mort à regretter. Le clown est toujours en action, particulièrement sur un « Just for Bop » jubilatoire (remarquons une guitare très « cool », qui ne cherche pas la virtuosité, bien aidée en cela par un accompagnement de qualité).

Jacques Vidal semble inquiet sur la pochette ; il n’y a pas de quoi : Mingus Spirit est une œuvre réjouissante : s’il lorgne vers le passé, c’est avec brio. Un jazz sensuel et charmeur (« Mingus Serenade »). D’ores et déjà un classique (à écouter avec un whisky).