Portrait

Janel Leppin dans les cendres du volcan

La violoncelliste américaine revient sur une année chargée.


Janel Leppin @ Shervin Lainez

Janel Leppin et son mari, le guitariste Anthony Pirog, sont des piliers de la scène musicale de Washington. Affichant un éclectisme impressionnant, elle défie les étiquettes. Artiste militante, elle n’hésite pas à associer sa musique aux causes politiques et sociales qui lui tiennent à cœur. Et son message sera inéluctablement d’actualité en 2025.

Janel Leppin @ Shervin Lainez

Janel Leppin commence son éducation musicale avec le violon. À l’âge de sept ans, lorsque sa sœur jumelle abandonne le violoncelle, elle décide de prendre le relais. S’ensuivent des études classiques jusqu’à l’université. « Je n’avais pas l’intention de devenir une musicienne classique, affirme-t-elle. Je voulais juste savoir jouer de mon instrument le mieux possible pour assouvir mon amour de la musique. »

Durant son parcours universitaire, elle passe du temps avec son futur époux, le guitariste Anthony Pirog, à faire le bœuf, produisant ainsi des étincelles de créativité, ce qui lui permet de s’épanouir musicalement. Le guitariste l’encourage également à écrire ses propres morceaux. « Être exposé à la musique classique vous amène naturellement à composer », affirme-t-elle. L’art d’improviser ne lui vient pas aussi facilement, une difficulté qu’éprouvent de nombreux musiciens ayant suivi une formation classique. « La recherche de la perfection est un aspect essentiel de la musique classique, ajoute-t-elle. Il faut se résoudre au fait qu’il n’y a pas de fausses notes. »

Parmi ses influences majeures figurent les violoncellistes Abdul Wadud et Pablo Casals. Elle les considère tous deux comme des révolutionnaires, des militants et des êtres profondément humains. « La technique de la main droite de Wadud m’a fortement marquée, avoue-t-elle. Quant à Casals, son jeu est émotionnel sans être précieux. Il est audacieux et authentique. » Deux morceaux de son dernier album avec son groupe Ensemble Volcanic Ash, leur sont d’ailleurs dédiés : « Ode to Abdul Wadud » et « Casals’ Rainbow », ce dernier étant curieusement un solo de piano interprétée par Leppin. « Je compose souvent au piano et cette composition est arrivée comme cela et reflète ce que Casals déclarait au sujet de la musique qui est comme un arc-en-ciel », explique-t-elle.

Nous devons descendre dans la rue pour défendre ce qui est juste.

Le nom du groupe lui vient alors qu’elle revient d’une tournée européenne avec un groupe de rock psychédélique. Nous sommes en 2010 et le volcan islandais Eyjafjallajökull est alors en éruption, causant de fortes perturbations dans le trafic aérien. « J’avais hâte de rentrer chez moi, mais j’étais terrifiée à l’idée de prendre l’avion », se souvient-elle. Quant au titre de ce dernier disque, To March Is To Love, il reflète ses convictions politiques. « Nous devons descendre dans la rue pour défendre ce qui est juste, dit-elle. En tant que musiciens, je pense que nous devons faire entendre notre voix. » Le septet est composé, outre Leppin et Pirog, de Kim Sator à la harpe, Larry Ferguson à la batterie, Sarah Hughes au sax alto, Brian Settles au sax ténor et de l’incontournable Luke Stewart à la contrebasse, lui aussi responsable de l’intérêt croissant que suscite la scène de Washington.

Janel Leppin et Anthony Pirog @ Shervin Lainez

La musique d’Ensemble Volcanic Ash se voit souvent affubler de l’appellation « jazz de chambre », un qualificatif plutôt réducteur tant Janel Leppin s’inspire de courants musicaux les plus variés. Alors que le premier album du groupe avait connu une longue période de gestation, celui-ci a pris forme beaucoup plus rapidement. « Auparavant, j’étais pensive et timide et j’apprenais à diriger un groupe et à organiser des répétitions, dit-elle. Aujourd’hui j’ai davantage confiance en moi ». La violoncelliste reconnaît également l’influence de Sonny Sharrock, notamment de l’album Ask For The Ages, et l’importance de la mélodie à laquelle elle a besoin de se raccrocher. De surcroît, elle adhère au concept japonais de wabi sabi depuis qu’elle s’est rendu compte qu’il peut y avoir de la beauté dans l’imperfection.

Ce souci de la mélodie est également présent dans New Moon In The Evil Age (Cuneiform), le dernier album de son duo avec son mari appelé Janel & Anthony. Conçu comme un double album ou double CD, l’enregistrement propose un disque instrumental et un disque vocal. « Pour être franc, lorsqu’Anthony et moi composons, nous ne savons pas toujours pour quel projet nous travaillons, avoue-t-elle. Nous avons pris beaucoup de temps avant de décider de tout sortir sous le nom de Janel & Anthony plutôt que d’avoir deux projets. » Les instrumentaux sont introspectifs et soulignent une tendance folk, avec une incursion dans l’électronique qui rappellent les univers de Robert Fripp ou Brian Eno. Le second présente encore une autre facette de Leppin. Certaines chansons font penser à de la pop électro en raison des rythmes entêtants et de l’usage extensif de sonorités électroniques. Ailleurs, ces sons sont toujours présents, mais cette fois-ci, ils sont au service de ballades songeuses et éthérées.

Musicalement, l’année 2025 se présente sous de bons auspices pour Janel Leppin. Sont déjà prévus au programme un album solo qui mettra davantage en avant ses talents d’improvisatrice, un album vocal commencé avant la pandémie et deux disques en trio : le premier avec le batteur Chad Taylor et le bassiste Devin Hoff, le second avec Pirog et le batteur Mike Kuhl. Enfin, le couple lancera son label, Love Beyond Measure, sur lequel certains de ces enregistrements devraient voir le jour.