Scènes

The Bridge #2.11 🇺🇸

Un nouveau groupe effectue son voyage initiatique à Chicago.


@ The Bridge

Le projet d’échanges transatlantiques offre bien souvent des formations à l’instrumentation originale. La dernière création en date propose un quartet plus conventionnel avec deux saxophones alto, une contrebasse et une batterie. En tournée du 16 au 27 novembre, The Bridge #2.11, composé des saxophonistes Nicolas Péoc’h et Greg Ward, de la contrebassiste Hélène Labarrière et du batteur Isaiah Spencer, auront au moins connu la première chute de neige de la saison.

La composition de The Bridge #2.11 est intéressante pour au moins deux raisons. Hélène Labarrière est une icône du jazz français tandis que Nicolas Péoc’h est connu des amateurs les plus affutés. Du côté américain, nous trouvons deux musiciens de la même génération, Greg Ward et Isaiah Spencer, qui ont bénéficié de l’incubateur qu’était le Velvet Lounge, le célèbre club du légendaire saxophoniste Fred Anderson. Un lieu qui n’a malheureusement jamais été remplacé, au grand dam des musiciens de la communauté noire.

La présence de deux saxophones alto pouvait susciter certaines attentes ou craintes. Allions-nous avoir affaire à de furieux duels dans la grande tradition des « cutting contests » ou le groupe allait-il souffrir d’une palette sonore réduite ? Rien de tout cela tant les personnalités de Ward et Péoc’h ont permis d’offrir un heureux contraste ou une grande complémentarité selon les situations. Le jeu du premier est imbibé de lyrisme avec un son mat et épais tandis que le second, affichant une fausse décontraction, se place dans la lignée d’un Ornette Coleman.

La section rythmique n’est pas en reste. Le large sourire qui ne quitte pas le visage d’Isaiah Spencer illustre la joie qu’il éprouve au sein de cette formation, notamment grâce à sa collaboration avec Labarrière dont les gestes gracieux sont au service de la musique et non pas l’incarnation d’un maniérisme vain. Le batteur ne cache pas non plus le plaisir qu’il ressent à se frotter à une musicienne au bagage imposant. Les bras lui en tombent de savoir qu’elle ait pu jouer avec des musiciens du calibre de Johnny Griffin.

The Bridge #2.11 @ Virginia Saavedra

Comme il en est coutume avec le réseau transatlantique, la première rencontre a un caractère exploratoire. Cette fois-ci, le groupe trouve rapidement son rythme et son mode de fonctionnement. L’approche du quartet s’inscrit dans la grande tradition du free jazz avec une section rythmique qui impose la cadence et pousse les solistes à donner le meilleur d’eux-mêmes. Les concerts se présentent sous la forme d’une longue suite improvisée et ininterrompue qui se divisent en plusieurs « tableaux ». Les passages sereins succèdent aux moments plus intenses – le calme avant la tempête –, les grooves prenant la relève de convulsions. Lorsque les saxophones s’encastrent l’un dans l’autre pour répéter des motifs à l’infini, on s’éloigne alors du free pour flirter avec l’école minimaliste.

Il est intéressant de constater que l’environnement qui devrait être le plus propice à un concert réussi n’est pas toujours celui auquel on pourrait penser. Ainsi, la prestation du groupe au California Clipper avec son ambiance bruyante (le barman secouant son shaker ou des spectateurs plus enclins à bavarder) se révèle plus convaincante que le rendez-vous au Logan Center For The Arts qui offre un cadre serein et un public attentif.

Enfin, il est devenu une tradition d’attribuer un nom à la formation à l’issue du séjour exploratoire. Le suspense continue alors que les musiciens n’ont pas encore tranché entre It’s Coming ou Reimagine.