Scènes

Uri Caine, historien et militant

Le pianiste américain offre une version retravaillée de son oratorio The Passion of Octavius Catto.


Photo : Anthony Linh Nguyen

En 2014, Uri Caine, ancien élève du pianiste français Bernard Peiffer (cocorico !), reçoit une commande du Mann Center qui héberge en période estivale l’orchestre symphonique Philadelphia Orchestra. Elle lui permet de se plonger dans la destinée d’Octavius Catto, militant noir des droits civils avant l’heure, et oublié. Originaire de Philadelphie, comme le pianiste, il est abattu le jour des élections sur le chemin du bureau de vote, le 10 octobre 1871. L’assassin sera acquitté par des jurés blancs.

Pour ce rendez-vous avec le public de Chicago, ce 25 mars 2022, au Logan Center for the Arts, Uri Caine doit se passer d’une grande formation classique mais est accompagné de son fidèle allié Clarence Penn à la batterie, de Mike Boone à la guitare basse et de la chanteuse Barbara Walker qui a déjà collaboré à plusieurs reprises avec le pianiste et a fait partie de l’aventure depuis le début. Par contre, pour le chœur, il recrute le Chicago Community Chorus, des choristes du cru. L’œuvre, malheureusement, revêt toujours en 2022 la même urgence et s’inscrit dans le sillage du mouvement Black Lives Matter.

Uri Caine @ Anthony Linh Nguyen

Cette nouvelle configuration oblige le pianiste à apporter des aménagements qui se traduisent notamment par l’ajout de cinq pièces en trio. Deux d’entre elles sont introduites par un duo reposant sur le procédé d’appel et de réponse. « The Fugitive Slave Act » met en scène le pianiste et le bassiste avec un soupçon de comédie en dépit du sérieux du sujet. Ensuite, Caine part dans des envolées, envoûtant les choristes qui se balancent en rythme. Après un passage où il puise dans sa culture classique, il conclut de manière on ne peut plus abrupte. Le prologue de « The Activist », lui, oppose le pianiste au batteur dont les réponses sont laconiques. La partie improvisation valide le choix de la basse électrique à la place de la contrebasse : Boone joue un rôle moteur en apportant une vélocité et des impulsions salvatrices.

Pour les autres trios, « The ICY School » séduit par ses inflexions gospel. « Baseball Star of 1867 » est plein de lyrisme. Et Caine conclut avec humour « The Plot », un morceau dans lequel la tradition du piano stride et la dissonance font bon ménage. « Murder », initialement écrit pour un orchestre symphonique, est le plus moderniste des trios et privilégie le minimalisme. Enfin, « The Trial » est une composition polymorphe émaillée de changements subits, qui n’oublie pas néanmoins de swinguer. Au total, ces morceaux proposent un florilège des talents et des influences de Caine, capable de briller en toutes circonstances.

Barbara Walker @ Anthony Linh Nguyen

Côté chansons, le gospel tient le haut du pavé. « Men to Arms » met en lumière le baryton expressif et rugissant de Barbara Walker. Après avoir planté le décor dans les premiers morceaux, les discours de Catto sont mis en musique. « The Philadelphia Streetcar Protests » voit le trio accentuer les incantations dramatiques de la chanteuse avec des interventions dissonantes. « There Must Come A Change » fait monter la sauce avec les choristes en contrepoint. « The Amendments » voit Walker passer en mode déclamatoire et appeler à mettre fin à l’esclavage. « Say Their Names » est une nouvelle composition collant à l’actualité durant laquelle, à tour de rôle, la chanteuse et les choristes scandent les noms de victimes policières d’hier et d’aujourd’hui. Bien que de facture plus classique, « Caroline Le Count’s Lament » est le moment où Walker projette le plus de tristesse et de douleur.

Le concert finit en apothéose avec « The Martyr Rests », Walker laissant libre cours à ses émotions et encourageant un public enthousiaste à marquer le rythme en tapant dans ses mains.