Scènes

Jazz in Aiacciu, impérial festival

Le festival d’Ajaccio a fêté ses 20 ans avec un programme festif et une nouvelle formule.


Certains festivals sont plus discrets que d’autres, mais cela n’enlève rien à leurs qualités. Qualifié par le magazine Le Point de festival « Le plus en beauté » dans sa sélection des 10 meilleurs festivals d’été, Jazz in Aiacciu est de ceux-là. Il faut bien reconnaître à ce festival un mérite un peu particulier, celui de se dérouler en Corse et en été. On admettra l’injustice en comparant à d’autres festivals plus humides et gris, mais c’est au bénéfice de la musique et des musicien.ne.s, alors il faut en profiter.

Jazz in Aiacciu © Hugues Evrard

Le Jardin de Verdure de Casone surplombe la vieille ville d’Ajaccio et fait office de lieu festif pour les habitant.e.s de la capitale de la Corse du Sud. C’est là, et sous le regard impassible d’un empereur natif d’ici, dont la statue érigée au sommet d’un monument pyramidal fait office de fond de scène, que le festival Jazz in Aiacciu se déroule désormais. Les six soirées habituelles qui, auparavant, se déroulaient en partie dans un ancien lazaret, s’enchaînent et s’enchaîneront d’une traite au même endroit, une grande place qui permet d’accueillir entre 1200 et 1500 personnes selon les soirs, sur gradins, et d’avoir également des espaces buvette et accueil. Six soirées, donc, avec six têtes d’affiches internationales qui font se déplacer près de 2% de la population de la ville chaque soir, ce qui est loin d’être négligeable, au contraire.

Ensemble A Filetta et Paolo Fresu © Albert Saladini / Earth and sea images

Cette année, le festival fête ses 20 ans et s’est offert les concerts de l’ensemble corse A Filetta accompagné de Paolo Fresu & Daniele Di Bonaventura, du contrebassiste Avishai Cohen en trio, du pianiste cubain Roberto Fonseca, le guitariste et chanteur brésilien Márcio Faraco, la chanteuse Melody Gardot et le guitariste funk Keziah Jones en trio. La programmation est assurée par Marcel Guidicelli, président de l’association organisatrice du festival, composée entièrement de bénévoles passionné.e.s de jazz et qui a réussi à monter et maintenir un évènement d’importance pendant ces vingt dernières années. Ils peuvent compter maintenant sur le soutien technique incontournable de la municipalité d’Ajaccio et des aides de la Collectivité de Corse et de nombreux partenaires publics et privés qui permettent de maintenir, avec un budget global à 400 000 euros, la qualité et la pérennité du festival.
Avant chaque concert, il y a une première partie que le président-programmateur qualifie d’insulaire. Une bonne demi-heure pour présenter des artistes corses dont les musiques cousinent avec les jazz. Ces mises en bouche trouvent un écho particulier auprès du public corse. C’est sur cette même lancée que le festival est partenaire de Jazz à Vienne, pour ce qui est du dispositif de tremplin pour l’émergence de musicien.ne.s le Rezzo, et propose chaque année des groupes à la sélection.

Keziah Jones et Stéphane Castry © Hugues Evrard

Chaque soir, la relative fraîcheur de la nuit prend son temps pour tomber et c’est à la bonne température que les concerts démarrent. L’édition 2022 présente comme à chaque fois, une diversité dans le choix des esthétiques, revendiquée par Marcel Guidicelli : jazz new-yorkais, rythmes afro-cubains, bossa-nova brésilienne, jazz-funk bluesy, swing vocal et cross-over, chaque soirée est colorée de façon différente mais toujours avec le soucis de choisir des musiques et des artistes taillés pour les grandes scènes ouvertes, les jauges importantes et le public estival.
L’avant-dernier concert a vu la star Melody Gardot et son groupe assurer une prestation très marquée par la bossa-nova et les mélodies lascives. Devant un jardin de verdure plein, assis et à l’écoute, elle a su alterner les soli instrumentaux (berimbau, piano, percussions, etc.) et les standards convenus « C’est magnifique », « This Foolish Heart », « Samba em Preludio »…

C’est le guitariste et chanteur Keziah Jones qui est chargé du final et qui, avec son trio, offre un concert dynamique et généreux devant une foule très nombreuse et assise mais qui a terminé le concert debout en dansant. Le savoir-faire d’un musicien comme Jones a éclaté aux yeux de tous. Il a un jeu de guitare incisif, toujours très rythmique et soutenu par son batteur. A la basse, avec un swing et un relâchement indolent, Stéphane Castry passe allègrement du blues syncopé aux sauts d’afro-beat bondissants chers au guitariste. Une pièce essentielle pour ce genre de musique. Pour le public, après la reprise de Jimi Hendrix « All Along the Watchtower » chaloupé en douce, c’est « Pass the Joint » dont il suggère en français la traduction « Passe le truc » puis entre autres tubes de ses précédents albums, la reprise étirée et accélérée du titre « War » de Bob Marley, avant - bien entendu - de se lancer dans une interprétation arrangée pour la scène et le public de son tube épiphanique : « Rhythm is Love », standing ovation, rappel, fermez le ban.

On pourrait penser que le festival se ferme sur cette fête populaire et énergique, en fait non. Tout l’été l’association organise le « Jazz in Paese », un festival hors les murs, avec des concerts « clés en main » dans les villages de l’île. Les artistes sélectionné.e.s vont jouer une quinzaine de dates dans des communes qui n’auront pratiquement que les chaises à installer ! Une bonne façon de faire découvrir le jazz aux publics éloignés des scènes.
Ce festival coche donc un certain nombre de cases pour figurer dans la liste des festivals qui comptent : une équipe de bénévoles passionné.e.s, une implantation locale avec les premières parties et la série hors-les-murs, un travail de réseau national et une populaire pérennité.
Les touristes en Corse sauront quoi faire les soirs de juillet, les 20 prochaines années.