Avec la sortie d’animA, nouveau solo du pianiste Jean-Christophe Cholet après le remarqué Amnesia à l’hiver 2021, on apprend rapidement deux choses. La première, c’est que le présent disque est le second volet d’un triptyque, et qu’on retrouvera donc prochainement le créateur de l’orchestre Diagonal dans une nouvelle aventure soliste. La seconde, c’est qu’il n’y a guère de pianiste aujourd’hui qui sache si bien jouer avec la profondeur des sentiments ; pas leur intensité, mais justement leur rémanence : ce qui s’attache, ce qui reste, le tanin de l’âme, tel qu’on l’entend dans « Ipsum Primis » ou surtout le très beau « Ethnicité » qui s’ouvre sur le grognement sourd d’un orage et quelque fracas de piano préparé. Une corde contrariée et une harpe lointaine : Cholet est seul mais pas seulement, il se double, se triple, devient kaléidoscopique. C’est ici que l’imagination opère.
Car si Amnesia était la chronique du confinement, animA est celui de l’ouverture aux autres. À l’autre, plutôt, car le disque est avant tout celui de l’intimité. Dans son palais des glaces, face à des boucles et des re-recordings, bien aidé en cela par Boris Darley et Quentin Cholet dans l’exercice sonore, le pianiste garde son goût pour les ambiances nocturnes dans plusieurs évocations charnelles. Telle est « Reptilissime », l’un des plus intéressants morceaux de l’album où, des profondeurs de la main gauche, naît une danse presque immobile bien que mouvementée. Idem avec « To Waltz or not to Waltz » et son approche fragmentée, presque cubiste, où la main droite ouvre des brèches dans des basses qui s’effacent soudainement pour laisser place à une mélodie. Une fenêtre qui s’ouvre, une lumière qui prend tout l’espace.
Le propre de la musique de Jean-Christophe Cholet, en solo comme avec Diagonal ou dans le Vienna Art Orchestra, c’est de donner corps à un sentiment et de lui offrir toutes les colères possibles. Dans animA, le pianiste joue plus que jamais comme agirait un peintre, mélangeant les ombres et les touches pastel, insistant dans les profondeurs des couleurs comme dans les camaïeux les plus subtils. Avec Amnesia, Cholet nous faisait vivre avec lui les moments inédits de l’enfermement. Avec animA, il nous laisse expérimenter un voyage intérieur. Avec toujours le même plaisir.