Lisa Hoppe YSOP
Faking an Imperfect Utopia
Lisa Hoppe (b, comp, voc), Gaya Feldheim Schorr (voc, fx), Laura Schuler (vln, fx, voc), Julia Rüffert (tb, voc), Danielle Friedman (p, voc)
Label / Distribution : Auto Productions
Lorsqu’on pénètre dans Faking an Imperfect Utopia, on comprend rapidement l’argument recherché par la contrebassiste allemande Lisa Hoppe : tout commence par la voix sucrée et languissante de Gaya Feldheim-Schorr qui s’installe sur la ligne de basse ; ça pourrait être un disque de pop un peu luxueuse, fièrement nocturne sur le piano de Danielle Friedman, avec les chœurs qui vont bien, mais la partition jouée par le trombone de Julia Rüffert et surtout le violon de la remarquable Laura Schuler montre une fracture infime, comme on dévoilerait des coulisses moins colorées et plus étranges. Nous sommes ici dans un onirisme revendiqué, tel celui que la violoniste de Berne exposait dans son récent Sueños Paralelos. « Moons of Jupiter, Textures of Sand », beau morceau qui agit en vagues successives dirigées par le piano, en est le parfait exemple : l’impeccable trombone de Rüffert tangente un morceau où piano et violon s’enchevêtrent avec délicatesse sous la direction discrète de la contrebassiste.
Découverte dans le trio Esche où elle croisait déjà Laura Schuler, Lisa Hoppe est une musicienne qui aime définir un univers et le laisser prospérer à l’envi grâce à la dynamique collective de ses camarades. La contrebassiste ne tire jamais la couverture à elle, se contentant d’indiquer des chemins qui vont de la chanson à la musique contemporaine en se gardant bien de se laisser enfermer. « Bienvenue, les affligeants » permet, dans un français à l’accent délicieux de Feldheim-Schorr, qu’on a déjà entendu avec le trompettiste Adam O’Farrill, d’évoquer la même poésie entêtante et vénéneuse qui caractérise parfois les disques de John Greaves ; plus loin, avec « Chronos & Kairos », le piano de Friedman joue avec le silence pour suspendre le temps, quand Schuler semble surprendre Gaya Feldheim-Schorr au plus profond d’une rêverie chambriste dont Lisa Hoppe, à l’archet, soutient toute l’architecture.
Lisa Hoppe définit la musique de son orchestre YSOP comme une maison qui aurait sa cuisine à Tel-Aviv et sa chambre à Berlin, un lieu magique où l’on passerait en un instant d’une métropole à l’autre, un lieu plein d’envie et d’interconnexions comme seule la musique sans doute peut en offrir. Le monde de Lisa Hoppe et de son quintet est une utopie réjouissante mais vaguement désabusée, profondément ancrée dans la jeunesse où les morceaux les plus complexes paraissent d’une fluidité et d’une simplicité inattendues. Difficile de ne pas se laisser emporter.