Chronique

Jean-Christophe Cholet

Amnesia

Jean-Christophe Cholet (p)

Label / Distribution : Infigo

Il y a eu tant de façons de vivre le confinement : de Susana Santos Silva aux expérimentations collectives, aux tentatives de réponses, tout fut, est, sera kaléidoscopique. Une des réactions est l’ermitage ; l’isolement contraint qui s’efforce de devenir volontaire, même si cela passe par son lot de souffrance. A écouter « Résignation », sur Amnesia, le nouvel album du pianiste Jean-Christophe Cholet, il est passé par là, et tout s’est fait à petites touches imperceptibles, un peu comme une essence qu’on infuse. Cholet est seul au piano, il est chez lui, et il divague. Les notes s’égrènent, la main trotte sur le clavier avec une certaine distance avant de prendre corps, de soudainement bifurquer comme ces coups de tête qui adviennent après une lente réflexion et se laisse gagner par une certaine langueur.

On le sait, Cholet est un homme de la nuit : il lui a composé l’un de ses plus beaux hymnes. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser à ce disque avec le trio CKP et Élise Caron dans la puissance onirique de « Pas d’accord ». C’est aussi un musicien à la grande culture classique, ce qu’il a notamment prouvé dans la Diagonale du Cube ou bien entendu avec le Vienna Art Orchestra. C’est ainsi que dans le remarquable « Ici et maintenant », on perçoit quelques réminiscences des Tristesses de Darius Milhaud, quoique de manière totalement inconsciente. C’est l’improvisation qui est maîtresse ici, le pianiste laissant la place à l’abandon voire au silence, et donc à la poésie. C’est l’atmosphère qui nimbe « aimer à se perdre » où le temps qui passe se pare d’une double face, mélancolique et pleine d’espoir, illustration parfaite de ces temps si étranges.

C’est le propre des artistes que de documenter les sentiments, que de donner forme à une époque. Dans son exercice soliste, nécessairement introspectif et intime, Jean-Christophe Cholet parvient à cartographier l’étrange sensation de cette réclusion involontaire dans notre paysage intime. Il le fait avec un naturel désarmant, pas si éloigné de la mise à nu pour un musicien qui, de Diagonal à ses trios a toujours écrit d’abord pour les autres. Amnesia est une musique qu’on écoute au chaud, comme on regarde par les persiennes mi-closes aux heures grises de l’hiver, quand l’horizon s’estompe dans le noir mais qu’on se sent malgré tout en sécurité. Un joli moment plein de sensibilité.