Chronique

Jean-Marc Foltz, Stéphan Oliva

Gershwin

Jean-Marc Foltz (bcl), Stéphan Oliva (p)

Label / Distribution : Vision Fugitive

Stéphan Oliva et Jean-Marc Foltz continuent leur exploration d’une archéologie de la modernité. Après le piano stride (Echoes Of Spring) et Lennie Tristano (Sept variations sur Lennie Tristano) pour Oliva, Billie Holiday (Eleanora Suite) pour Foltz, et non sans s’être confrontés ensemble à une relecture du classique (Prokofiev, Berg, Poulenc sur Visions Fugitives), ils plongent aujourd’hui dans une des œuvres fondamentales de l’histoire du jazz, celle de Gershwin.

Fruit d’une longue collaboration marquée par plusieurs disques (Itinéraire Imaginaire, Soffio di Scelsi, Pandore) ou des ciné-concerts (Segundo de Chomon notamment), leur travail consiste en une recherche consciencieuse sur les rapports qu’entretiennent écriture et improvisation. C’est bien le cas ici. Les compositions de Gershwin ne sont pas traitées comme des standards prétextes à un étalage de virtuosité. Avec une grande économie de moyen et par soustraction systématique, les torsions souples et félines de Foltz flirtent avec le texte sans jamais le trahir ni s’en écarter. Balisées par les accompagnements discrets mais essentiels d’Oliva, elles trouvent chez ce dernier un toucher enrobant mêlé de couleurs impressionnistes où se dilue le blues. Abordant les thèmes de manière globale, dans l’entièreté d’une forme dont ils font un usage méticuleux, ils jouent de nuances sur les phrases les moins singulières et s’attachent, en retour, à montrer l’irréductibilité de lignes saillantes qui font tout le génie de Gershwin.

De cet effet de hiérarchisation et de perspectives émerge alors un monde nocturne percé de lumière qui renouvelle l’intérêt pour des airs pourtant mille fois entendus. Car la solitude de leur rencontre, loin de se concevoir comme une ascèse aride, s’exprime par une puissance évocatoire intime et sensuelle qui déploie un son ample, véritable identité du duo. Enregistrés par Gérard de Haro (ingénieur du son du studio La Buissonne et indispensable shadowman de cette session), la profondeur des basses de la clarinette, la clarté des aigus aussi pleins que précis comme le cristallin du clavier gonflent une pâte sonore qui séduit l’oreille, la captive et la force à abandonner toute forme de résistance.

Les émotions les plus complexes sont alors évoquées. “The Man I Love”, “My Man’s Gone Now”, “I Love(s) You Porgy” traversent ainsi tout la littérature des affects. Complété par un dessin de pochette signé Emmanuel Guibert (fidèle du label depuis ses débuts) et associé à un livret qui recense une iconographie sur Gershwin et son époque, ce disque est une invitation à revivre au plus près la sensibilité d’un compositeur.