Scènes

Blind Io, quand la chimie devient son.

Le quartet Blind Io était au Petit Faucheux.


Blind Io © Rémi Angéli

Fondé à l’initiative de Teun Verbruggen, le quartet Blind Io s’en remet intégralement à l’improvisation et propose un set à la fois totalement exploratoire et d’une grande cohérence sur l’ensemble de sa prestation. La salle du Petit Faucheux a assisté ce samedi 15 mars à une musique au processus chimique unique.

Americano-germano-nippo-belge, tel pourrait être le qualificatif de provenance de cette formation qui prouve une fois de plus que l’artistique se joue des frontières et privilégie les sensibilités plutôt que les nationalités. En l’occurrence, celle de quatre musicien·nes curieux·ses d’investir des territoires neufs avec comme bagage commun un sens de la liberté et un langage rompu aux pratiques les plus innovantes de ces dernières années.

La proposition électronique discrète de la Japonaise Ikue Mori, concentrée devant son ordinateur, est rapidement soutenue par la batterie du Belge Teun Verbruggen qui se lance aussitôt dans un flux rythmique qu’il soutiendra avec les variations d’intensité nécessaires tout du long du concert, lui apportant une tonicité permanente alors même que ses partenaires de jeu seront dans la suspension. Dès lors, un climat est posé qui ne constitue en rien un prétexte mais le périmètre dans lequel les musiciens évolueront sans le faire éclater, plutôt en l’habitant encore et toujours plus, avec intensité.

Comme sortie du bois, discrètement en tout cas, Ingrid Laubrock fait valoir la fêlure feutrée de son ténor qui, sur la pointe des pieds, entame une mélodie sommaire. Naturellement se mettent en place deux paires complémentaires, celle de la rythmique et des couleurs que tiennent Mori et Verbruggen, celle des harmonies et mélodies de Laubrock et du piano de Bram de Looze qui soutient avec d’infinis délicatesses les avancées louvoyantes de la saxophoniste. Ses doigts-araignées arpentent le clavier à la recherche de notes inattendues, dissonances douces qui créent des effets de mystère. Par son art du retrait, et quoique de son côté parfaitement en acoustique, il donne à entendre des effets de montage, comme des collages ou des cuts soudains, coupure du son au scalpel, résonances tenues qui le placent dans la liste des musiciens sculpteurs de son.

Teun Verbruggen © Rémi Angéli

Ces éléments mis en place finissent par produire une réaction chimique aussi progressive que concrète. Sans dévier de la ligne de départ, poursuivant son avancée à l’intérieur de ce territoire finalement devenu labyrinthe, le quartet voit s’édifier une matière dense dans laquelle l’auditeur se perd d’autant mieux qu’il a suivi le parcours linéaire lui permettant de s’égarer (ce qui n’est pas le moindre des paradoxes de cette musique).

La spatialisation liquide des effets de Mori, petits gribouillis électroniques, ouvre un peu plus encore le plan sur lequel travaille l’ensemble. Glissant dessus, les paires se délient et se solidarisent autrement, saxophone/batterie, clavier contre clavier. Tous ont pourtant en partage une musique collective qui ne prend son sens que dans son unité. Des sentiments de plénitude et d’étrangeté traversent l’auditeur alors même que l’étendue des possibles s’élargit jusqu’à des instants abrupts qui ne se départissent jamais de leur flegme. En quelques morceaux longs (nous avons perdu le compte : peut-être trois, quatre voire un peu plus, peu importe), le quartet construit et décompose un univers qui est désormais le sien.
Un disque sorti sur le label Rat Records, enregistré voici trois ans, rend compte de cette expérience, il en est le parfait reflet quoique tout autre chose. Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme.