Chronique

Jean-Pierre Moussaron

Les Blessures du désir, Pulsions et Puissances en jazz

Label / Distribution : Alter Ego Editions

Voici une nouvelle déclinaison de L’Amour du jazz qu’éprouve Jean-Pierre Moussaron — et un amour que le jazz lui rend bien — après les Portées publiées en 2009 : Les Blessures du désir - Pulsions et puissances en jazz. Cette fois-ci, le philosophe zoome sur quelques artistes et en dresse, pour certains le portrait, pour d’autres l’esquisse, musicale et humaine, et traverse tous les styles et toutes les époques sans distinction autre que la sensation.

Dans « Miles Davis et le contretemps », Moussaron examine le rapport au temps du trompettiste, et à travers l’analyse du concert et de l’interview parisiens du 3 novembre 1989 contenus dans le DVD Miles In Paris de Frank Cassenti, dégage une poétique du mouvement particulière. À partir de la peur de stagner et de vieillir, il écoute ce que la musique de Miles met en œuvre pour être dans une sorte de présent absolu, un « perpetuum mobile », un devenir constant.

Abbey Lincoln est, elle, comprise comme une « Mère Courage » (Brecht), et étudiée dans sa dernière période (1990-2006) sous un angle politique. Ou comment la forme jazzistique fait politique en soi.

Plus récemment, Bernard Lubat, Tim Berne, Sylvie Courvoisier ou David S. Ware font également l’objet d’une analyse précise, qui recourt à des outils philosophiques et littéraires. Barthes, Blanchot, Céline, Goethe, Baudelaire, Nietzsche et bien d’autres sont convoqués au détour d’une phrase pour alimenter l’écriture, si bien qu’il est sans doute difficile, pour qui n’est pas familier avec ces auteurs, de suivre le fil de l’étude.

Moussaron déroule une réflexion rapide et exigeante, mais perd par moments son lecteur tant il est entraîné par son propre courant de pensée, qui souvent va dans plusieurs directions à la fois. Du coup, le style est saccadé, coupé par de nombreux détours et parenthèses, et ne facilite pas la compréhension. De plus, dans la continuité de Portées et d’un élan d’amour pour le jazz dont il a fait preuve toute sa vie, il attaque à nouveau une certaine critique qui « parle de ses phantasmes [qu’elle a petits] au lieu de son objet prétendu » avec Alain Gerber dans « Coltrane et la critique de jazz avec Gerber ». Si sa définition d’une critique constructive est très intéressante — et son véritable objet — pourquoi s’acharner contre des hommes et des femmes sans jamais les nommer (si ce n’est Hugues Panassié), au lieu de leur répondre silencieusement par la seule écriture de ce livre ?

Moins utile que Portées pour appréhender ce que le jazz a à dire sur le monde de manière générale, Les Blessures du désir travaillent des exemples précis sous un angle musicologique, politique et humain, et c’est cette précision d’analyse qui fait leur intérêt. C’est un livre pour lecteurs familiers du jazz, qui permet d’approfondir la compréhension de certains artistes, tels que Chet Baker, Albert Ayler, Sonny Rollins, Von Freeman, ou encore Helen Merrill ou Evan Parker.