Chronique

Joëlle Léandre

No Comment

Joëlle Léandre (cb)

Label / Distribution : FOU Records

Réédition d’un disque aujourd’hui épuisé initialement paru sur le label montréalais Red Toucan, ce solo de Joëlle Léandre, est d’autant plus précieux que sa discographie pourtant pléthorique n’en compte qu’une poignée.

Enregistrées en 1994 et 1995, à Vancouver au Canada et à Ragusa en Italie (Sicile) par Jean-Marc Foussat (qui le signe sur son label Fou Records), ces neuf pistes permettent d’entendre l’intégralité de son jeu et de dérouler les fondamentaux de son esthétique. Dans une approche néanmoins plus physique qu’aujourd’hui, Joëlle Léandre se confronte à sa contrebasse avec une énergie sans pareille. Utilisant l’instrument comme une percussion, les cordes tirées et claquées, la table frappée ou frottée sont les socles anguleux sur lesquels elle construit un édifice sonore qui s’élève et s’organise dans l’instant.

Le déroulé n’est pas vertical pour autant et le discours ne s’accommode pas d’un simple empilement de couches rythmiques : la pensée musicale est plus globale. Dans le flux général, les nouvelles propositions infléchissent le propos ou lui donnent un tout autre atour. Le chant ou les cris eux-mêmes (cocasses dans leurs excès comme sur “No Comment n°2”), la glossolalie parfois (sur “No Comment n°5”), ne sont pas la partie supérieure d’un maelström mais bien plutôt les émergences multiples d’une même racine comme un prolongement de la basse.

Car tout prend place dans cet écoulement musical. Particulièrement expressive à l’archet, Joëlle Léandre use également de tout son savoir pour réserver des moments d’apaisement (sur le magnifique “No Comment n°6”) ou peindre, par une utilisation pleine des harmoniques, des paysages métalliques (“No Comment n°8”). Lorsqu’elle fait vibrer avec majesté la profondeur de ses graves (“No Comment n°9”), c’est le son qui, comme toujours chez elle, génère du discours par son grain et sa dynamique.

Elle y plonge sans retenue mais tient néanmoins la barre et choisit le lieu où elle souhaite se rendre. Tout à la fois le paysage et le tracé, le récit et sa narration, elle se fait démiurge et conteuse de sa propre mythologie.