Chronique

Kaja Draksler

Soothe My Soul, Feed My Thought

Kaja Draksler, piano

Label / Distribution : Idyllic Noise

Une entrée sur la pointe des pieds, avec quelques progressions d’accords légers et délicats. On sent la densité de la concentration dans le jeu, on imagine le souffle retenu du public.

Et peu à peu, cette mise en place patiente et posée d’un écheveau de petites structures mélodiques qui s’emboîtent et s’enchaînent dans un schéma rythmique de plus en plus appuyé.

Aussi, chaque fois que possible, la pianiste fait un pas de côté, un décalage, une note claquée, un arpège, tout pour rendre le cadre qu’elle a construit fragile et au bord de la rupture. On sent monter la tension et tandis que le volume et la richesse des accords enflent, elle étend aux extrémités le registre de son clavier.
Le second tiers du solo évoque alors le piano classique romantique de Chopin ou Rachmaninov, les plongées sans fond dans des graves pesants et des aigus cristallins et suspendus. C’est alors que l’on pénètre dans le territoire favori de la pianiste, celui d’un jeu préparé, provocant : sonorités sèches et inattendues, évocation de boites à musiques anciennes et autres artefacts mécaniques. Le piano devient machine à percussions. Kaja Draksler alterne cliquetis et mélodies naturelles dont elle tire une thématique minimaliste et répétitive, plongeant ainsi l’auditeur dans une sorte de vortex musical dont émerge une forme.

La pianiste a donné des titres explicites aux différentes parties de ce solo, enregistré live en une seule prise mais qui se lit comme un livre aux différents chapitres. [1]
Les différentes sont notables, les couleurs changent sans à-coup et soudain, on passe d’une marche harmonique grandiloquente à la Saint-Saëns à un duo clavier-sifflement aérien qui évoque Craig Taborn. Puis le discours devient cotonneux et voltigeant, la musique semble flotter comme les graines de pissenlits emportées par le vent… jusqu’à ce que la pianiste retombe sur ses pieds et termine magistralement par une version délicate et éclairée du standard d’Ellington, « Solitude ».

Ce vinyle enregistré et produit par Idyllic Noise, le label associé au festival autrichien Artacts est une perle dans la discographie pourtant déjà nacrée de la pianiste slovène.

par Matthieu Jouan // Publié le 28 novembre 2021
P.-S. :

[100:00 « Vsi so venci velji »
15.55 « Dusk, Mystery, Memory, Community »
27.07 « Humans Vibrating »
34.40 « Soothe My Soul, Feed My Thought »
39.04 « Andromeda »
43.05 « Solitude »