Chronique

[LIVRE] Pauline Guéna

Pannonica

Editions Robert Laffont

1954 - 58. Entre une jeune serveuse de bar afro-américaine à New York et une gamine parisienne un peu paumée, quel rapport ? Aucun, sinon l’époque. Et une coïncidence : toutes deux ont été éveillées à la musique de jazz par un pianiste massif, génial, fêlé : Thelonious Monk.

Ruby et Moune ne se rencontreront jamais. Peut-être se sont-elles croisées sans le savoir dans un recoin du roman. Toutes deux occuperont pourtant, en passagères clandestines, un strapontin dans la vie du grand musicien branque et de son amante, Pannonica de Koenigswarter. Et parce qu’il faut bien que les semblables finissent par s’assembler, leurs lignes de vie vont, bien plus tard, se croiser par personnes interposées. Pannonica toujours au centre de la toile.

Pauline Guéna réussit à enchevêtrer de façon convaincante la réalité et le roman. Les personnages de fiction sont si vraisemblables qu’il nous semble bien les reconnaître (y compris dans les remerciements, à la fin du livre), même si la fiction change un peu leurs traits et leur destin. Le style est souple, capable de rudesses comme de demi-teintes, le parti-pris narratif - le narrateur omniscient du début s’avère être un personnage du roman - est intelligent.

Mais Pannonica n’est pas simplement un roman historique comme tant d’autres : il nous offre des voix de femmes, exclusivement, dans un monde d’hommes. Ruby, Moune, Pannonica, Liv et plus tard Chine, chacune porte son fardeau de larmes et de cassures, et toutes aiment, profondément, la musique et ceux qui la font. Femmes fortes, elles prennent l’initiative, elles résistent. Les hommes ? Dans ces années 50 flamboyantes et misérables, ils sont de deux sortes : les amants, qui fuient (physiquement, dans la drogue, l’alcool ou la mort). Les maris, qui assument dans l’ombre. Et puis Monk, colosse brisé.
Les années 80, à la fin du roman, nous offrent en revanche une vision réconciliée de l’homme et de la musique, comme un espoir.

L’autre réussite de Pauline Guéna est de parvenir à exprimer ce que veut dire « ressentir profondément la musique » (« Vous avez fait pleuvoir dans ma poitrine », dit Ruby à Monk). Et de nous démontrer qu’entre aimer la musique et aimer ceux qui la créent, l’intervalle est de l’ordre du comma. Il suffit d’y prêter l’oreille…