Scènes

La Belle Ouïe du Balto

Les 3, 5 et 6 octobre dernier, trois journées de concerts étaient proposées hors de toutes musiques balisées. C’était le festival « La Belle Ouïe » animé par Denis Charolles.


Sylvain Kassap et Denis Charolles - photo Guy Sitruk

Musique déjantée ? superlative ? évanescente ? tonitruante ? jazz ou musique improvisée ? Avec Denis Charolles, on ne sait jamais, mais de l’humour, il y en aura sûrement.

Denis Charolles - photo Guy Sitruk

Le festival a trouvé sa place dans l’arrière-salle (assez vaste) du café Balto de Montreuil. En poussant la porte dudit café, on se prend à douter. On vérifie l’adresse, le nom, c’est bien ici ; il suffit d’avancer comme si les lieux nous étaient familiers.
La scène est large. Elle permet au public d’être au plus près des musiciens. Elle donne à ces derniers l’espace qui parfois leur manque tant. Elle est profonde, et permet ainsi la mise en place des instruments du concert qui suit.

Denis Charolles a invité ce jour là Sylvain Kassap aux clarinettes et Amaryllis Billet au violon. On imagine ce que pourrait jouer Sylvain Kassap (mais lui aussi est imprévisible). Quant à Amaryllis Billet, j’ignorais tout de sa musique.

Ce fut le plus souvent intimiste, avec des accents parfois proches d’une certaine musique contemporaine ; mais dire cela, c’est déjà trahir.
Il faut alors en revenir aux Instants, repérer les équilibres instables qui font bifurquer la musique du trio.

Amaryllis Billet - photo Guy Sitruk

Au commencement était une clarinette, nocturne. Très vite elle s’émancipe par des granulations inhabituelles, par des phases de souffle continu, par des sons multiples, dans une atmosphère de douce retenue. Une écoute qui s’aiguise, qui frissonne en écho.
Puis sans qu’on y prenne garde, un son plus nasillard, des couleurs aux frontières de l’Europe et de l’Asie apparaissent. Et une danse incertaine s’installe, accentuée par des cordes légèrement martelées et des percussions boisées, perlées.
Un surprenant duo de petites percussions violon-batterie s’esquisse, puis la clarinette revient, en deux morceaux, instruments joués simultanément. Un souvenir enfoui surgit, impromptu. Impossible de ne pas penser à Michel Portal, mais la musique du trio suit son chemin propre. Elle apporte ses rêves, ses amorces de danses, ses presque cris, ses jeux sur les clefs, ses frappes légères et délicates, minutieusement choisies, alors que le violon est frotté à distance et gazouille, tout comme la clarinette.
Cela devient ténu, les mains du batteur fouettant l’air ou faisant craquer des baguettes, une clarinette basse toute en infra-sons, aux grains multiples, une autre danse à peine évoquée sur les cordes pincées.

Après un quasi-drone des trois instruments, la clarinette basse s’enivre, entraînant les deux autres instruments. On imagine une suite à l’intensité croissante, mais c’est un solo de percussions en sons éclatés, épars. Quelques frappes isolées, comme on toque à la porte, comme en s’interrogeant. Un regard taquin vers Sylvain Kassap mais c’est Amaryllis Billet qui répond, par une comptine d’un temps lointain, d’un ailleurs indéfinissable, d’une voix fragile, accompagnée de son violon. S’enchaîne alors une séquence entêtante qui emporte avec elle Denis Charolles et Sylvain Kassap pour la dernière partie de cette pièce. Je vous propose l’extrait final de ce premier morceau

Une seconde pièce est jouée, avec ses surprises, ses méandres, ses découvertes inopinées, mais elle ne dure qu’une dizaine de minutes. Un concert dont la durée totale atteint alors quarante et une minutes, et non les quarante-cinq qui seraient de bon aloi. C’est que notre trio ne dispose pas de l’énorme sablier qui accompagne parfois Anthony Braxton. Alors que faire ? Denis Charolles, qui a pointé cette brièveté, propose avec humour de les « boire » au bar.

La Belle Ouïe nous a offert une fin d’après-midi de plaisirs francs, de malice, d’écoute aiguisée, de sensibilité affûtée, de surprises aussi, et de découverte d’un prénom, qui sera vite un nom, Amaryllis.